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sur les champs de bataille avec une armée d’élite était précisément celui où les républiques grecques allaient cesser de se défendre par le courage de leurs enfans.

L’avantage d’une armée nationale et solidement organisée n’était pas le seul qu’eût Philippe contre les cités helléniques. Il pouvait facilement couvrir ses projets du mystère le plus profond Ses alliés, ses lieutenans mêmes ne connaissaient ses ordres qu’au moment de les exécuter, tandis que dans la Grèce toutes les résolutious politiques se prenaient sur l’Agora, en présence des espions du Macédoinien. Il était passé maître dans l’art de corrompre les hommes et prodiguait l’or dans un pays où il était ardemment convoité. Même aux plus beaux jours de son histoire, nous avons vu que la Grèce ne compta qu’un petit nombre d’hommes purs et intègres. M. Grote n’hésite point à croire qu’une grande partie des orateurs d’Athènes était à la solde de Philippe. À l’égard d’Eschine, il prouve le fait jusqu’à l’évidence, et il a pris quelque peine à justifier Démosthènes lui-même de tout soupçon. Au reste, je ne sais s’il n’attribue pas à la corruption une part trop grande dans les succès de Philippe. Dans toutes les républiques grecques, il avait des partisans qu’il ne payait pas. Partout en effet il se trouvait deux factions rivales, dont la plus faible était prête à pactiser avec l’étranger. Le gouvernement de la parole, tel qu’il existait dans presque toutes les villes helléniques et surtout à Athènes, avait fait deux camps dans chaque cité. Tout mouvement qui se faisait d’un côté amenait un mouvement en sens contraire, et il suffisait que Démosthènes dénonçât l’ambition du roi de Macédoine pour qu’aussitôt un orateur, son rival, s’empressât de le justifier. Contredire systématiquement et en toute occasion, ses adversaires était la tactique la plus ordinaire dans ces duels d’éloquence sur la place d’Athènes. Chez une nation mobile et amoureuse de la forme, toute discussion pouvait procurer un succès oratoire, et c’est ce que l’on cherchait par-dessus tout. Grâce à d’habiles rhéteurs, l’éloquence avait été cultivée, non comme un instrument pour venir en aide à la raison, mais pour en tenir lieu. Persuader était un art qu’on apprenait par principes, indépendamment de la vérité ; peut-être même trouvait-on plus de mérite à plaider le faux, car toute la gloire du succès appartenait alors à l’orateur qui l’avait fait prévaloir. Il y avait de beaux esprits faisant métier de fabriquer des discours pour tous acheteurs, et Démosthènes lui-même en composait, qu’il cédait à ses amis pour de l’argent. D’autres enseignaient les mouvemens passionnés qui pouvaient attendrir des juges qu’enflammer une assemblée politique. Cet art de l’éloquence, que beaucoup de gens étudiaient pour la gloire et le profit, et que tons appréciaient comme une merveilleuse manière de passer le temps, n’avait