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physionomie, est Bréderode, le chef des gueux, le boute-feu, le Danton de la révolution des Pays-Bas. Henri de Bréderode, comte de Vianen, vicomte d’Utrecht, etc., était « un homme taillé pour la lutte, d’une haute stature, d’un tempérament de feu, d’une figure mâle et énergique. » Page à la cour de Charles-Quint, il reçut de Philippe II le commandement d’une des bandes d’ordonnance, et fit plusieurs campagnes contre les Français. Sous l’administration de Granvelle, il se ligua ouvertement avec les adversaires des cardinalistes. En 1365, lorsque d’Egmont partit pour l’Espagne comme député des Pays-Bas, il l’accompagna jusqu’à la frontière de France. À Cambrai, dans un banquet auquel assistait l’archevêque, il manifesta des craintes sérieuses pour la sûreté de son ami, qui allait se remettre sans défense entre les mains d’un maître perfide. Le prélat voulut tourner ses défiances en raillerie. C’était à la fin du repas. Bréderode était jeune, et ne se piquait pas d’être sobre : il prit une aiguière et la lança au visage de l’archevêque. L’inquisition lui inspirait trop de haine pour qu’il témoignât beaucoup de respect aux gens d’église. Il pratiquait encore le culte catholique, mais il entretenait à Vianen une imprimerie clandestine, et de là se répandaient dans les provinces des bibles, des chansons et des libellés. Lié d’une amitié fraternelle avec Louis de Nassau, qui fut l’âme de la confédération, il s’empressa de signer le compromis. On ne sait pas avec certitude s’il assista en personne aux conférences de Breda et de Hooghstraten ; mais on peut affirmer qu’il repoussa tous les faux-fuyans, toutes les demi-mesures proposés par les chefs de l’aristocratie. Le 3 avril 1566, à la tête de deux cents gentilshommes, il entra dans Bruxelles en équipage de guerre. « Quelques-uns, dit-il, avaient pensé que je n’oserais pas m’approcher de cette ville ; en bien ! j’y suis, et j’en sortirai peut-être d’une autre façon. » Le surlendemain, il présenta solennellement à Marguerite de Parme la requête des confédérés contre les placards et l’inquisition. Cette démarche hardie jeta l’effroi dans le parti espagnol ; elle constitua le parti national et commença la révolution. « Voilà mes beaux gueux, » avait dit Berlaymont en voyant défiler le cortège des confédérés. Bréderode ne laissa point tomber cette insulte : « Nous sommes gueux, s’écria-t-il, pour la cause du roi et de la patrie, et nous la servirons jusqu’à porter la besace, » Dans un banquet donné à l’hôtel de Culembourg, il parut avec une besace attachée au cou et une écuelle de bois dans la main. Il l’emplit de vin, la porta à ses lèvres et la fit circuler autour de la table. Chaque convive, en la vidant, dévoua sa tête pour le salut de ses compagnons. Désormais le branle était donné ; les gueux s’étaient fermé la retraite. Ils mirent sur l’écu de Vianen cette légende : « Par flammes et par fer, » et Bréderode prit pour emblème la main droite de Mucius Scévola, armée d’un poignard et environnée de flammes, avec ces mots : Agere aut pati fortiora. Terrible serment auquel il eut la gloire de ne point faillir !

À Anvers, devant quatre mille personnes assemblées, il parut à la fenêtre de son hôtel, et, le verre à la main : « Me voici, dit-il, pour consacrer ma vie et mes biens à votre défense, et vous délivrer de l’inquisition et des édits ! Que ceux qui voudront m’avoir pour guide dans la défense de la liberté commune trouvent bon que je boive à leur santé, et qu’ils m’en fassent signe de la main ! » Quatre mille voix répondirent par le cri de : Vivent les gueux ! Bientôt après il se rendit à l’assemblée de Saint-Trond, où les députés de