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Hegel[1]. Ma réforme de la philosophie hégélienne, c’est le titre même d’une brochure écrite il y a trois ans par le sage et discret hégélien. M. Erdmann a poursuivi le même but dans l’ouvrage très complet qu’il a publié sous ce titre : Histoire de la spéculation allemande depuis Emmanuel Kant.

M. Erdmann est certainement une des physionomies les plus singulières de la littérature philosophique de nos jours. Né en Livonie d’une famille qui avait donné plus d’un pasteur à l’église protestante, élève de cette grande école de Dorpat où la tradition allemande est envahie chaque jour par l’influence moscovite, plus tard disciple de Schleiermacher et de Hegel à l’université de Berlin, il revint exercer le ministère évangélique dans son pays natal; il y demeura quatre ans, puis, entraîné par la vivacité de son esprit, avide de succès, sur un plus grand théâtre, il quitta la Russie pour l’Allemagne, et conquit bientôt une chaire à l’université de Halle. N’est-il pas curieux que ce soit la Russie, — la Russie allemande il est vrai, — qui ait donné a l’Allemagne le plus spirituel et le plus ardemment opiniâtre des hégéliens de la droite? Semblable à M. Rosenkranz par son attachement aux doctrines hégéliennes, M. Erdmann ne cherche pas comme son collègue de Kœnigsberg à sauver la philosophie de son maître en y apportant maintes réserves. Cette attitude modeste lui déplaît. Les conséquences que de prétendus disciples ont tirées de la doctrine hégélienne ont épouvanté bien des esprits et fait reculer M. Rosenkranz lui-même; M. Erdmann ne reculera pas. Il prouvera simplement que tout le monde s’est trompé. La philosophie de Hegel n’est hostile ni à la religion ni à l’état; les conséquences qu’on a voulu en faire sortir n’y étaient pas renfermées. Les jeunes hégéliens n’ont pas compris le premier mot de l’enseignement du maître. Telle est la thèse que soutient M. Erdmann, non pas sous la forme de la polémique, mais dans une série de livres aussi spirituels que savans, destinés à replacer sous son vrai jour cette philosophie abandonnée de tous. En un mot, M. Erdmann est un hégélien de la droite, et tandis que les différentes fractions de l’assemblée, l’extrême gauche, l’extrême droite, le centre même, sont en révolte ou en fuite, il tient ferme à son poste et s’efforce de rallier les fuyards. Il en est encore à l’hégélianisme de 1831, à celui qui gouvernait les universités, qui occupait les fonctions publiques, qui jouissait de la confiance absolue de Frédéric-Guillaume III; tout ce qui s’est passé depuis n’a aucune valeur à ses yeux. Tant pis pour ceux qui ont défiguré la pensée du philosophe de Berlin ! « Pour moi, dit M. Erdmann, tant que je n’aurai

  1. Voyez, dans la Revue du 15 août 1853, l’étude intitulée Mouvement littéraire de l’Allemagne, Rénovation philosophique et religieuse depuis 1850.