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pas vu se lever une doctrine plus belle, plus complète, plus digne de l’éternelle sagesse et de la destinée de l’homme, je serai hégélien, — dussé-je être seul, — hégélien et chrétien, hégélien et monarchiste. »

Voilà certes une position originale. Pour la défendre contre tous les partis, il faut une foi ardente et un esprit bien aiguisé. M. Erdmann est un homme convaincu et l’un des plus spirituels causeurs qui soient jamais montés dans une chaire de logique. A l’université ou dans les luttes de la presse, il est toujours sur la brèche. Et quelle verve, quelle étincelante ironie! Ce n’est pas lui qui craindrait de déplaire à ses auditeurs. Il faisait dernièrement des leçons fort suivies sur la science de l’état, et au nom de cette philosophie de Hegel, qui avait inspiré des doctrines toutes contraires, il s’amusait à renverser comme des châteaux de cartes, non-seulement les utopies démocratiques, mais les théories mêmes du libéralisme le plus discret. Sa philosophie de la science de l’état, c’était, à peu de chose près, la justification du despotisme. Il y a eu autrefois des ministres qui se disaient les disciples de Hegel; pourquoi les hégéliens ne seraient-ils plus représentés dans les conseils de la couronne? On croirait en vérité que M. Erdmann s’est adressé cette question et qu’il se porte candidat. Ses leçons sur l’état sont des discours-ministres. On passe beaucoup de choses à M. Erdmann à cause de sa fidélité ardente aux intérêts de la philosophie, et l’on ne peut se dispenser de l’écouter, tant sa verve est divertissante. Ne croyez pas d’ailleurs qu’il soit léger, qu’il cherche des succès frivoles; non : c’est un homme grave chez qui l’ironie coule de source. « Il fait rire, — disait un jeune philosophe d’une autre école, M. Le docteur Frauenstaedt, — il fait rire, mais il ne rit jamais. » Il a une abondance, une richesse d’idées incroyable; il fait des cours populaires semés d’inspirations subites, de railleries improvisées, de paradoxes inattendus, et il publie des livres qui lui ont coûté vingt ans de travail. On dirait que les leçons populaires ont pour but d’assurer des lecteurs aux volumes. Cela sera peut-être; mais il n’y songeait pas : il a seulement donné l’essor à son ardeur de prosélytisme, il a parlé pour tout le monde, pour le peuple, pour les femmes, pour la jeunesse, pour les savans et pour les hommes d’état. C’est ainsi qu’il allait faire de spirituelles et fantasques leçons devant l’auditoire de la Sing-Akademie de Berlin, en même temps qu’il mettait la dernière main au grand et sérieux ouvrage de sa vie.

Son livre sur la spéculation allemande depuis Kant, aidé par le succès de ses représentations philosophiques, sera lu et mérite de l’être. L’idée de l’ouvrage n’est pas nouvelle; M. Erdmann l’a empruntée à son maître : c’est la croyance à un enchaînement de