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n’a été mise que récemment en lumière. Son principal ouvrage a déjà trente-sept ans de date ; c’est celui qu’il a intitulé le Monde considéré comme volonté et comme phénomène (Leipzig, 1819). Depuis, il a donné la Volonté dans la Nature (Francfort, 1836), la Liberté de la Volonté, dissertation couronnée en Norvège par la société royale des sciences de Drontheim; le Fondement de la Morale, travail provoqué par un concours ouvert devant l’académie de Copenhague, mais qui n’obtint pas le prix. Ces deux derniers écrits, publiés ensemble sous ce titre : les Deux problèmes fondamentaux de l’Éthique (Francfort, 1841), et un ouvrage assez récent : Parerga et Paralipomena (Berlin, 1851), complètent l’explication du système formulé en 1819[1]. Or toutes ces explications, il faut bien le dire, s’étaient produites à huis clos. Il y a quelques années à peine, un esprit distingué, mais singulièrement chimérique. M. le docteur Frauenstaedt, ému sans doute de l’abandon, de la misanthropie de M. Schopenhauer, frappé aussi de l’incontestable noblesse de son caractère, a voulu le venger de l’oubli, et s’est fait dans les journaux de Leipzig l’interprète passionné de son système. Peu de temps après, un critique anglais[2] en donnait une analyse rapide, et signalait le sage de Francfort (c’est le nom qu’il lui donne) comme l’une des plus puissantes intelligences du XIXe siècle. Encouragé par ce succès, M. Frauenstaedt a publié un curieux volume intitulé Lettres sur la Philosophie de Schopenhauer, où il s’efforce d’expliquer l’œuvre du maître, d’en atténuer les folies, d’y trouver un enchaînement rigoureux et de répondre aux objections sans nombre qu’elle soulève. M. Frauenstaedt a eu le talent d’exciter sur ce point la curiosité de l’Allemagne philosophique. M. Erdmann a écrit tout un chapitre sur Schopenhauer dans son Histoire de la Spéculation allemande depuis Kant, M. Rosenkranz lui a consacré un article dans le recueil que dirige M. Hermann Fichte, et, tout en repoussant les doctrines, il montre beaucoup de bienveillance pour le penseur, il l’étudié surtout comme une apparition extraordinaire. Cette douleur, ce désespoir, ces aspirations à un monde supérieur où le repos de la béatitude est complet, où la volonté s’exerce souverainement et sans efforts, ont ému M. Rosenkranz, et il est évident qu’il traite le bouddhiste du XIXe siècle comme un malade de génie, digne de sympathie et de respect. Il y a en effet, à travers tant d’extravagances, la trace d’une poésie sombre et quelquefois grandiose dans l’inspiration générale de ce système. Le poète favori de M. Schopenhauer, c’est Calderon, parce que Calderon a écrit un drame

  1. L’ouvrage principal de M. Schopenhauer, le Monde considéré comme volonté et comme phénomène, a été remanié par lui dans une seconde édition (Leipzig 1844) qui contient le dernier mot de l’auteur.
  2. Dans le Westminster Review, avril 1853.