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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/483

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du Rhin, l’un des cinq empereurs d’Allemagne institués par le rumpparliament de Stuttgart; depuis qu’il a dû quitter le théâtre de sa gloire, il continue, comme par le passé, à mener de front les recherches de la science et les discussions pantagruéliques. M. Jacob Moleschott est un chimiste qu’on s’accorde à placer au premier rang. Ingénieux dans ses combinaisons, il a enrichi la science de plusieurs découvertes utiles; pourquoi faut-il que M. Moleschott veuille rivaliser avec M. Vogt, et comment deux hommes si spirituels ont-ils pu se perdre si résolument dans l’absurde? La doctrine de MM. Vogt et Moleschott est ce matérialisme vulgaire que la raison a mille fois réfuté : l’âme n’est qu’une abstraction vide de sens, la vie est simplement le résultat de l’organisation. Pour rendre quelque originalité à ce beau système, M. Vogt y sème agréablement ses bouffonneries, et M. Moleschott l’expose avec l’enthousiasme d’un révélateur. Selon M. Vogt, la pensée est une sécrétion du cerveau, et le docte historien des poissons tire de là toutes les comparaisons qui s’offrent naturellement à un cynique en belle humeur. M. Moleschott, attaquant le dualisme de la force et de la matière, proclame la mission de la science au XIXe siècle, qui est de chasser à jamais toute idée de force et de principe, de même que l’école de M. Feuerbach a anéanti l’idée de Dieu. Ce qu’on appelle force est un fantôme; la matière seule existe, la matière est éternelle, et ce sont ses transformations incessantes qui constituent l’univers. L’âme est un composé de gaz, d’acide carbonique et d’ammoniaque. Ces gaz qui forment notre pensée ont animé bien des hommes depuis des siècles ; ils en animeront bien d’autres, quand nous aurons rendu nos élémens au laboratoire de l’éternelle chimie. « Qu’on ne parle donc plus, s’écrie-t-il, des ravages exercés par le temps ! Notre science a fait évanouir le fantôme de la mort : la matière ne peut pas périr. Qu’importe à l’artiste la destruction de son œuvre? Si la statue disparait, le marbre est toujours là, animé du feu de Prométhée, et de nouveaux chefs-d’œuvre en sortiront dans la série des âges. » « Voyez, s’écrie-t-il encore, voyez ce mineur qui, à la sueur de son front et au péril de sa vie, fouille les entrailles de la terre; il ne songe qu’au salaire de son travail : il cherche l’or, le charbon, la houille, l’alun, des métaux de toute espèce. Combien son action est plus féconde, sans qu’il s’en doute lui-même! Ces élémens, qu’il arrache à leur stérilité et qu’il jette dans le creuset universel, multiplieront la vie sur la surface du globe. Ce qu’il extrait des galeries souterraines, c’est du blé, ce sont des hommes. Il travaille, ce manœuvre, à la philosophie de l’histoire. L’argile qu’il tient dans ses doigts produira un jour des peuples et remplira de grands siècles. »

Ni les bouffonneries de M. Vogt, ni la phraséologie enthousiaste de M. Moleschott n’ont pu rendre quelque intérêt à ce grossier