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la Croix. Depuis que M. Ranke est conseiller d’état et historiographe de Prusse, on dirait qu’une sorte de stratégie d’homme de cour a remplacé chez lui les inspirations de la science. Que le célèbre écrivain y prenne garde : s’il persistait dans la voie où il s’engage, l’Allemagne regretterait bientôt les encouragemens qu’elle a prodigués à ses premiers travaux. Déjà une école se forme qui, sans nier ses éminentes qualités, ne craint pas de dénoncer hautement ce qui lui manque. Allier à la finesse de M. Ranke la moralité de M. Schlosser, tel est l’idéal que se propose une génération d’écrivains dont je suis heureux de proclamer l’avènement.

Au premier rang de ce groupe d’élite, je placerai M. L. Häusser, professeur à l’université de Heidelberg, et un officier de l’armée prussienne, M. Le major Beitzke. M. Louis Häusser publie en ce moment même une œuvre qui obtient un légitime succès. La période qu’il a choisie embrasse la fin du XVIIIe siècle et le commencement du XIXe. Quelle était la situation de l’Allemagne à la mort de Frédéric II ? Qu’est-elle devenue dans les années suivantes? Au milieu de quelles catastrophes, sous quelles influences fatales, après combien de fautes, de trahisons, de divisions intestines, s’est-elle tour à tour perdue et retrouvée en face de la république et de l’empire? Voilà les questions auxquelles M. Louis Häusser s’est efforcé de répondre. L’écrivain a intitulé son livre : Histoire d’Allemagne depuis la mort de Frédéric le Grand jusqu’à l’établissement de la Confédération germanique. M. Häusser, disciple de M. Schlosser, avait sous les yeux le tableau que son maître a tracé de cette période dans son Histoire du dix-huitième siècle; mais M. Schlosser ne s’était pas proposé d’y suivre pas à pas les destinées de l’Allemagne, d’étudier le rôle de toutes les chancelleries, de faire comparaître tous les acteurs, les rois et les peuples, et de les juger au nom de la conscience nationale. Indiquée seulement à larges traits dans l’Histoire du dix-huitième siècle, cette étude est le sujet spécial de M. Häusser. Que de misères dans un pareil tableau ! Il contient surtout de terribles leçons, et il fallait un historien bien pénétré du sentiment de son devoir pour le dérouler hardiment aux yeux de ses compatriotes. M. Louis Häusser n’a pas failli à sa tâche. Ce qui me frappe dans ce livre, c’est l’intègre inspiration qui l’anime et le talent populaire que l’auteur y déploie; M. Häusser a voulu se faire lire par toute l’Allemagne; il ne tient pas seulement à être apprécié par les docteurs, il veut exercer une action sur la foule. On peut dire qu’il fait tout ensemble œuvre d’historien et de publiciste. Résolu à montrer l’abaissement des peuples germaniques dans une période néfaste, il a bien soin pourtant de ne pas blesser son pays; il a foi dans les destinées de l’Allemagne, et sa franchise même est un hommage au peuple qui l’écoute. Il y a là, en un mot, une virile inspiration qui se retrouve aussi, avec des