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qualités différentes, dans le travail de M. Beitzke. M. Häusser n’est pas encore arrivé à la période glorieuse qui doit couronner son œuvre, M. Beitzke a pris les devans, et tandis que M. Häusser raconte les misères de l’Allemagne depuis l’expédition d’Italie jusqu’à la campagne de Prusse, il consacre une étude détaillée aux luttes de 1813. Ici le danger n’était pas de froisser l’amour-propre des Allemands, mais plutôt de céder à une sorte d’exaltation vengeresse et de réveiller des passions assoupies. M. Beitzke est impartial autant qu’un Allemand peut l’être en ces matières. On a publié bien des livres au-delà du Rhin sur les guerres de 1813; voilà le premier travail qui embrasse les questions avec indépendance et qui s’efforce de rendre justice à tous. Bien que le tableau soit tracé avec feu, on n’entend plus retentir ces clameurs qui étaient chez tant d’écrivains de second ordre le prolongement insensé de la bataille. Peintre énergique des colères de l’armée et du peuple, M. Beitzke n’est pas aveuglé par la fumée de la poudre. Il voit clair dans tous les événemens, il est impartial pour Napoléon et pour la France; au milieu même des revanches de son pays, il sait démêler les fautes de ceux qui règlent ses destinées. « Voilà quarante ans, dit-il, que ces luttes sont finies; le temps n’est plus où l’Allemagne avait toujours nécessairement raison et l’ennemi toujours tort. » Ne sont-ce pas là des paroles qu’il faut noter? Les ouvrages de M. Häusser et de M. Beitzke ont été lus avec l’intérêt le plus vif. Depuis trois ans que ces publications sont commencées, les deux écrivains tiennent l’Allemagne attentive à leurs récits. On apprécierait mal un tel succès, si l’on n’y voyait par-dessus tout un indice de cette virilité qui se déclare de plus en plus au sein des peuples germaniques. Toutes les déceptions que l’Allemagne a subies, toutes les épreuves qu’elle a traversées, ne lui ont laissé qu’un ardent désir d’achever à elle seule son éducation morale. En histoire comme en philosophie, elle se défie de l’exaltation; c’est le vrai seul qui l’attire, et elle se sent de force à se mesurer avec la réalité.

M. Gustave Droysen, professeur à l’université danoise de Kiel, mais Allemand d’origine, et qui écrit pour l’Allemagne, est aussi l’un de ces vaillans esprits qui répondent aux exigences de la conscience publique. M. Droysen s’était acquis déjà une certaine réputation; son Histoire d’Alexandre, son Histoire de l’Hellénisme, sa Biographie du maréchal d’York, lui avaient marqué sa place dans la nouvelle école; il publie en ce moment une Histoire de la Politique prussienne, qui s’annonce comme une œuvre excellente. Personne jusqu’ici n’avait jeté tant d’intérêt et de lumière sur les premières origines de la Prusse. M. Droysen a surtout un sentiment très vif de la grandeur des hommes et des peuples; il aime les personnages qui impriment à l’humanité une impulsion puissante, il aime aussi les peuples qui apparaissent dans l’histoire avec une mission novatrice.