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Le moment est bien choisi pour rappeler à la Prusse ce que sa destinée lui impose. L’écrivain qui a su expliquer le rôle d’Alexandre le Grand sans s’inquiéter des protestations de la liberté hellénique saura de même, — ses premiers jugemens nous l’attestent, — raconter l’établissement du royaume de Prusse sans se préoccuper des protestations de l’Allemagne du midi. « Tout ce qui est, disait Hegel, est conforme à l’éternelle raison; » que sera-ce donc, semble ajouter M. Droysen, de ce qui pousse dans le sol de si fortes racines? Ne croyez pas cependant que cet apologiste des grands peuples et des hommes supérieurs soit disposé à faire bon marché de la morale et du droit. J’ai indiqué tout à l’heure ce que M. Louis Häusser, manifestement issu de l’école de M. Schlosser, avait ajouté à la méthode et aux inspirations de son maître : M. Droysen a grandi dans les rangs de la philosophie hégélienne; mais il y a longtemps qu’il s’est affranchi de la tyrannie de ses formules.

C’est ainsi que, des divers points de la science, d’excellens esprits se réunissent dans l’amour du vrai. Quelque sujet qu’ils traitent, les hommes qui veulent agir sur l’opinion s’inspirent du sentiment pratique. Des intelligences qui se seraient enfermées autrefois dans des écoles exclusives et hautaines se rencontrent aujourd’hui sur ce terrain de la réalité. M. Häusser est une nature austère, M. Droysen est une imagination ardente; le premier interroge d’un regard sévère les documens diplomatiques, le second s’est préparé à l’intelligence des choses humaines par un commerce assidu avec les poètes; il a traduit Eschyle, Aristophane, et il porte dans ses travaux d’histoire la poétique ardeur qui l’anime. Celui-ci était le disciple d’un homme pour qui l’histoire était avant toute chose un cours de morale en action, celui-là sortait d’une école panthéiste qui supprime le rôle de l’homme dans le drame de l’histoire, et n’y voit que le développement progressif d’une idée éternelle; il est difficile de rassembler i)lus de contrastes : eh bien ! ces deux hommes, à l’heure qu’il est, représentent au même titre l’esprit de la génération nouvelle.

Il est impossible que ce sentiment du vrai, ce désir d’exercer une influence utile, ne contribuent pas à développer chez les historiens de sérieuses qualités littéraires. Y a-t-il place encore pour le pédantisme de l’érudition ou pour la phraséologie mystique dans des livres qui aspirent à éclairer la conscience nationale? M. Droysen se livrait trop volontiers naguère à la fougue de ses théories; cette espèce de philosophie de l’histoire qu’il a publiée sous le titre de Guerres de liberté était toute remplie de rêveries idéalistes qui déroutaient sans cesse le lecteur; aujourd’hui il est sobre, il se possède, et sa force a doublé. Cette netteté, qui n’exclut pas la verve, est un des signes auxquels je reconnais l’école nouvelle; je la retrouve chez M. de Sybel, auteur d’une Histoire de l’Allemagne pendant la