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Ainsi une même tendance, un même signe du temps se manifeste partout, dans la philosophie, dans l’histoire et jusque dans les œuvres d’imagination. L’Allemagne n’a pas inutilement traversé de pénibles épreuves; les déceptions qui auraient pu la décourager ont été pour elle un avertissement efficace. Décidée à ne plus être dupe, elle s’exerce à l’étude des choses pratiques. « J’y veux voir moins loin, mais plus clair, » a dit M. Alfred de Musset: ce pourrait être la devise de la génération qui se lève au-delà du Rhin. L’Allemagne se défie donc des systèmes, elle interroge la réalité, elle s’interroge elle-même, et comme elle y verra plus clair, elle y verra aussi plus loin. Avec ce sentiment du vrai et du possible, le sentiment moral a reparu dans toute sa force. Les vertus allemandes sont remises en honneur, la conscience nationale se réveille, et si l’on emprunte quelque chose à la France, ce n’est plus, comme autrefois, le matérialisme des mauvaises écoles du XVIIIe siècle ou la corruption sentimentale d’une certaine partie de notre littérature parisienne; c’est notre netteté d’esprit, notre ardeur de prosélytisme, tout ce qui peut fortifier l’esprit germanique sans lui rien enlever de sa noblesse. Voilà en quelques traits le résumé du tableau qui s’est déroulé sous nos yeux.

Quelle est maintenant la part de chacune des contrées de l’Allemagne dans le travail que nous venons de décrire? Ici encore se produit le contraste que nous a offert la situation politique[1]. A Berlin, l’université seule soutient encore la réputation de la Prusse; la littérature indépendante s’est tue ou dispersée sous de funestes influences. Aucun des noms cités par nous au premier rang, aucune des œuvres où se révèle la transformation de l’esprit public, n’appartient à la cité qui était, il y a quinze ans, la capitale intellectuelle de l’Allemagne. A Vienne, la philosophie n’a pas encore d’organe, l’histoire ne produit que des travaux d’érudition ; mais la poésie, le roman et le théâtre ont produit d’heureux essais et manifesté une vie nouvelle. Les meilleures forces de la génération qui occupe la scène littéraire sont à Leipzig, avec MM. Gustave Freytag et Julien Schmidt; à Dresde, avec MM. Berthold Auerbach, Hermann Hettner, Julius Hammer, Otto Ludwig ; à Munich, avec MM. Maurice Carrière, Fallmerayer, Adolphe de Schack, Frédéric Bodenstedt; à Halle, avec MM. Max Duncker, Hinrichs, Edouard Erdmann, Robert Haym; à Heidelberg enfin, avec MM. Gervinus, Louis Häusser et le chevalier de Bunsen. Ce sont les états secondaires, en définitive, qui ont ici la part du lion; c’est à eux que l’on doit décerner la victoire. Hâtons-nous d’ajouter que si les écrivains d’élite ne trouvent pas partout un théâtre propice à leur activité, partout du moins le public est

  1. Voyez la Revue du 1er juillet.