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sympathique à leurs travaux. À Berlin comme à Vienne, les philosophes et les historiens de Heidelberg et de Leipzig, les poètes de Dresde et de Munich peuvent compter sur un auditoire attentif. L’unité intellectuelle est fondée. Cette unité, espérons-le, ranimera la vie de l’intelligence dans les contrées où elle paraît s’affaiblir aujourd’hui. Il est impossible que la capitale de la Prusse ne sente pas vivement ce déclin de son ancienne gloire ; il est impossible qu’un roi comme Frédéric-Guillaume IV, appréciateur si délicat de tous les travaux de l’esprit, ne se préoccupe pas d’une situation qui produit des résultats pareils.

Quant à l’Allemagne elle-même, elle peut attendre avec confiance le bénéfice de ses efforts. Si l’esprit que nous avons signalé se développe régulièrement, la seconde moitié du XIXe siècle ne ressemblera pas à la première. Celle-ci, avec ses mouvemens inquiets, avec ses ambitions incohérentes, n’aura été que la préparation à une littérature meilleure, où l’Allemagne reparaîtra plus morale et plus forte. Je ne sais si elle produira encore des Lessing, des Herder, des Goethe, des Schiller ; il y aura du moins une élite généreuse qui travaillera à l’instruction du pays. À voir le zèle des laboureurs et les promesses des sillons, on peut espérer que la moisson sera belle. L’Allemagne a déjà traversé au moyen âge une transformation de ce genre ; après l’éclatante poésie du XIIIe siècle, après Wolfram d’Eschembach et Gottfried de Strasbourg, la littérature a été pendant deux cents ans une école de bon sens et de vertus pratiques d’où est sorti, au XVIe siècle, le mouvement le plus original de la pensée allemande. Aujourd’hui, après la période dont Goethe a été la personnification souveraine, le même travail doit s’accomplir. La mission des écrivains est de populariser cette culture littéraire et morale qui a été jusqu’ici le privilège du petit nombre. Si la littérature, au XIVe et au XVe siècle, a été instinctivement démocratique, elle doit l’être, au XIXe avec un sentiment réfléchi de ses devoirs. La génération dont j’ai parlé comprend ainsi sa tâche ; écrivains et lecteurs, maîtres et disciples sont revenus au bon sens, à la raison, à la philosophie pratique, au christianisme spiritualiste ; ils ont appris surtout, et puissent-ils ne pas l’oublier ! que, dans la science comme dans la politique, il n’y a pas de progrès possible là où le mysticisme défigure les notions du monde réel. Que ce soit le mysticisme piétiste ou le mysticisme révolutionnaire, le mal est le même, et l’Allemagne n’y échappera qu’en développant chez elle le goût de la vie active. C’est le principe que l’orateur latin proclamait au premier chapitre de son traité des Devoirs : Virtulis laus omnis in actione consistit,


SAINT-RENE TAILLANDIER.