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II.

Le lendemain, au déjeuner, sir John présenta Maxime à sa fille. Olivia lui répondit vivement en anglais qu’elle n’aimait pas les nouvelles connaissances improvisées. Sans rien comprendre à ce discours, Maxime n’eut pas de peine à deviner qu’il était question de lui, et de la façon la moins gracieuse. Loin de chercher à cacher ses dédains, Olivia les trahissait à tout propos, et très nettement, très naïvement. Dans la journée, ils se rencontrèrent plusieurs fois, sans qu’elle eût l’air de se douter de sa présence. Devant lui, elle affectait de ne parler qu’anglais, comme pour l’isoler tout à fait.

Par contre, miss Sarah se montrait fort aimable pour Maxime. C’était une grande et sèche personne à lunettes, romantique à l’excès, avec ses cinquante-deux ans, jacobite comme Walter Scott, ce qui ne l’empêchait pas d’être très républicaine en Italie. Tout cela se conciliait parfaitement dans son esprit. Carliste en Espagne, Polonaise en Galicie, elle avait des sympathies très vives pour toutes les causes vaincues ; elle exécrait les Turcs, les Autrichiens, les Russes. Miss Sarah se piquait de littérature italienne : elle savait par cœur des chants entiers de la Jérusalem, tout le premier livre des Nuits romaines, et quelques centaines de sonnets de Pétrarque, qu’elle récitait à l’anglaise, d’une voix chevrotante, avec des gestes passionnés et des jeux de visage d’une sentimentalité comique. Elle portait sur le cœur un médaillon de lord Byron cerclé de grenats, et des tours de corail lui couvraient les bras, le cou, s’enroulaient dans ses cheveux. Miss Sarah s’était emparée de Maxime, et déjà elle le prenait pour confident ; elle lui racontait sa vie avec des larmes dans la voix. Tout cela était très obscur ; Maxime eut l’air de comprendre, et la bonne demoiselle, toute ravie, se prit pour lui d’une passion enthousiaste. Dans les récits de miss Sarah, il y avait une douzaine de mots qui revenaient obstinément au milieu de ses phrases inintelligibles, sifflées avec véhémence, et Maxime finit par deviner qu’elle avait dans son temps beaucoup dansé pour les Grecs, et qu’elle avait longuement, très longuement aimé un infidèle. Pendant toute la journée, cette bienveillante personne ne cessa de s’occuper de Maxime. Elle avait pour lui des soins maternels, elle l’interrogeait à chaque instant sur ses goûts, ses projets, ses habitudes. Lui l’écoutait à peine, et dans son ingratitude il aurait donné toutes les bonnes grâces de l’Écossaise pour un sourire de la hautaine Olivia.

Le docteur Girolet resta deux jours absent. À son retour, il annonça que l’armée piémontaise était en pleine déroute ; il fallait s’attendre d’un jour à l’autre à l’arrivée des maraudeurs ennemis ;