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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/562

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accomplis avec une entière indépendance et par conscience ou par bon sens ; mais c’est aussi le devoir d’un chef de gouvernement de défendre ses amis contre ces artifices ou ces violences de langage, de rétablir en toute occasion leur conduite, comme la sienne, sous son vrai jour, et de les faire respecter, comme lui-même, par leurs communs adversaires. Sir Robert Peel ne remplissait pas suffisamment ce devoir ; c’était un de ses défauts d’être trop solitaire et de se trop considérer lui-même, et lui seul, au milieu des siens. La vie publique, dans un régime de liberté, veut plus de sympathie et de dévouement ; ce n’est pas seulement à ses principes et à sa cause, c’est aussi à ses amis politiques que se doit un chef de parti, et il ne les garde zélés et fidèles qu’autant qu’il se montre jaloux de leur honneur et prompt au combat, pour eux comme pour lui-même. J’ajoute que sir Robert Peel répugnait trop à la lutte quand elle prenait un caractère de personnalité amère et injurieuse ; elle blessait sa dignité, plus ombrageuse que tranquille, et il prenait trop souvent, pour s’en couvrir, le bouclier du dédain. Il faut, dans l’arène des gouvernemens libres, des armes plus offensives, qui atteignent plus directement et repoussent plus loin l’ennemi.

Ces dissensions intérieures, ces défections de quelques-uns, ces alternatives d’humeur et de retour de beaucoup d’autres, n’attiraient encore sur sir Robert Peel point de revers sérieux : toutes ses propositions persévérantes étaient adoptées, toutes ses mesures importantes s’accomplissaient sans obstacle, son renom d’habileté et de puissance allait toujours croissant ; mais la fermentation et la désorganisation croissaient aussi de jour en jour dans le parti conservateur ; la diversité des maximes premières et des tendances définitives entre le chef et la plupart de ses anciens amis se marquait chaque jour plus clairement ; elle était partout, dans les clubs et dans les journaux comme dans les chambres, l’objet des commentaires les plus animés et de prédictions pleines d’espérance ou de crainte. Les esprits prudens s’inquiétaient sans le dire ; les esprits violens éclataient çà et là, comme ces coups isolés et pressés qui devancent le combat. A l’ouverture de la session de 1845, sir Robert Peel se trouva en face d’une question inévitable, et qui, de quelque façon qu’elle fût résolue, devait faire faire à cette situation un grand pas. Votée seulement pour trois ans en 1842, la taxe sur les revenus (income-tax) expirait : serait-elle, ou non, renouvelée ? Quels principes administratifs, quels intérêts sociaux prévaudraient à cette occasion dans la politique du cabinet ? Sir Robert Peel ne s’en expliquait point.

Le 14 février 1845, il mit sous les yeux de la chambre des communes l’état des finances publiques et son plan de budget pour