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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/561

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sans doute par son impulsion, le chancelier de l’échiquier et le secrétaire d’état des colonies, M. Goulburn et lord Stanley, repoussèrent absolument l’amendement proposé. Quand on en vint au vote, la chambre compta vingt-six membres de plus qu’il n’y en avait eu dans la séance précédente, et l’amendement adopté le 14 juin à 20 voix fut rejeté le 17 à 22 voix de majorité.

Dans le cours du débat, sans discuter ni la proposition du cabinet, ni l’amendement, sans dire un mot de la question, M. Disraeli avait pris sir Robert Peel lui-même à partie avec l’ironie la plus poignante. « Je me tromperais, je crois, dit-il, sur le caractère de l’honorable baronet, si je supposais qu’il peut faire grand cas d’un pouvoir qu’il ne peut conserver que par des moyens si étranges, peut-être pourrais-je dire si inconstitutionnels… Il ne devrait pas traîner ainsi sans nécessité ses amis à travers la boue. Déjà une fois dans cette session, il leur a fait révoquer une décision qu’ils avaient solennellement adoptée, et il revient encore et leur dit : — Si vous ne révoquez pas une autre décision très importante, je ne puis me charger de la responsabilité des affaires. — Vraiment c’est assez d’un vote révoqué dans le cours d’une session ; nous ne devrions pas être appelés plus d’une fois par an à subir cette dégradation… L’honorable baronet s’unit au cri public contre l’esclavage ; il en a horreur partout, excepté sur les bancs qui sont derrière lui. La clique est toujours là réunie, et le fouet claque toujours. Si l’honorable baronet s’en servait un peu moins, sa conduite serait plus d’accord avec ses déclarations… Peut-être a-t-il raison, peut-être réussira-t-il en menaçant ainsi ses amis et faisant des courbettes à ses adversaires ; pour moi, je ne suis pas disposé à croire qu’un tel succès fasse honneur à la chambre ni à lui-même. »

Devant des paroles si outrageantes pour ses amis comme pour lui-même, sir Robert Peel n’ouvrit pas la bouche, ni pour lui-même, ni pour ses amis. Silence étrange ! A coup sûr, les bonnes réponses ne manquaient pas. Asservissait-il les autres à son joug quand il refusait de s’asservir au leur ? Était-il donc un condamné aux travaux publics, forcé d’agir contre sa propre pensée et de rester à son poste jusqu’à ce qu’il convînt à des hommes qui ne pensaient pas comme lui de l’en relever ? Et parmi ses partisans, ceux qui continuaient de le soutenir ne le faisaient-ils pas de leur propre choix, aussi librement que ceux qui se séparaient de lui ? L’accusait-on de les retenir par la corruption ? Depuis quand était-il interdit de subordonner un dissentiment particulier à une politique générale, et de revenir sur une résolution quand elle entraînait des conséquences inattendues ? C’est la coutume de l’opposition de profiter des apparences pour travestir en procédés serviles et honteux des actes