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potisme moscovite ? Ou bien est-ce que notre premier ministre, notre sultan à nous, hésite dans la crainte de n’être pas appuyé par le pays ? S’il en doutait, nous sommes rassemblés ici pour lui donner notre concours… Il n’y a pas un homme au monde, fût-ce le Grand-Turc ou l’empereur de Russie, qui soit plus puissant que Robert Peel ne l’est en Angleterre… Il a entre les mains le pouvoir ; il est coupable et lâche s’il ne s’en sert pas. »

À la fin d’octobre et dans les premiers jours de novembre, le cabinet se réunit plusieurs fois. On sut qu’il avait examiné les rapports venus de toutes parts sur les produits réels des récoltes, sur la quantité de grains qui restaient encore dans le pays, sur les ressources que pouvait fournir l’étranger, sur la maladie des pommes de terre et l’état de la population en Irlande. Sir Robert Peel, disait-on, avait proposé diverses mesures ; mais il avait rencontré de graves dissentimens, trois de ses collègues seulement s’étaient rangés à son avis. Le cabinet se sépara. Rien ne fut fait, rien ne fut annoncé. On s’étonnait de son inaction et de son silence. Ses amis disaient qu’il ne voulait pas accroître les alarmes en les partageant ouvertement sans pouvoir y apporter un remède prompt et efficace ; mais peu de gens admettaient l’explication : les esprits ardens s’irritaient, les modérés persistaient à s’étonner.

Tout à coup parut dans les journaux une lettre adressée d’Edimbourg par lord John Russell à ses commettans les électeurs de la Cité de Londres, sous la date du 22 novembre, et conçue en ces termes :

« Messieurs,

« L’état actuel du pays sous le rapport de ses moyens de subsistance ne peut être considéré sans inquiétude. La prévoyance et des précautions hardies peuvent prévenir tout mal sérieux ; l’indécision et la procrastination peuvent amener un état de souffrance auquel on ne saurait penser sans effroi.

« Il y a trois semaines, on s’attendait en général à la convocation immédiate du parlement. L’annonce que les ministres étaient prêts à en donner le conseil à la couronne, à proposer aux chambres, dès leur première réunion, la suspension des droits à l’importation des grains, aurait fait expédier sur-le-champ des ordres dans les diverses parties de l’Europe et de l’Amérique, et mettre en route des grains pour la consommation du royaume-uni. Un ordre du conseil pour dispenser de l’observation de la loi n’était ni nécessaire, ni désirable. Aucun parti dans le parlement n’eût encouru la responsabilité de s’opposer à une mesure si urgente et si salutaire.

« Les ministres de la reine se sont réunis et séparés sans nous ouvrir aucune perspective d’un remède si opportun.

« C’est donc à nous, les sujets de la reine, de rechercher comment nous pouvons écarter ou du moins atténuer de grandes calamités.