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purs, je crois, et avec une infatigable énergie, a fait appel à notre raison à tous, et nous a forcés de l’écouter par une éloquence d’autant plus admirable qu’elle était sans prétention et sans ornement : c’est le nom de Richard Cobden !

« Je termine ici les observations que mon devoir me commandait d’adresser à la chambre. Je la remercie de la faveur avec laquelle elle a bien voulu m’écouter dans ce dernier acte de ma carrière officielle. Dans peu d’heures probablement, le pouvoir que j’ai tenu cinq ans passera dans les mains d’un autre, sans regret, sans plainte de ma part, avec un souvenir bien plus vif de la confiance et de l’appui que j’ai obtenus pendant plusieurs années que de l’opposition que j’ai rencontrée naguère. En quittant le pouvoir, je laisserai un nom sévèrement blâmé, je le crains, par beaucoup d’hommes qui, sans intérêt personnel, uniquement en vue du bien public, déplorent amèrement la rupture des liens de parti, convaincus que la fidélité aux engagemens de parti et le maintien des grands partis sont de puissans et essentiels moyens de gouvernement. Je serai aussi sévèrement blâmé par d’autres hommes qui, aussi sans intérêt personnel, adhèrent au principe de la protection, le regardant comme nécessaire à la prospérité du pays. Je laisserai un nom détesté des monopoleurs, qui, par des motifs moins honorables, réclament la protection dont ils profitent. Peut-être laisserai-je un nom qui sera quelquefois prononcé avec des expressions de bienveillance dans les demeures de ceux dont le lot en ce monde est le travail, qui gagnent leur pain à la sueur de leur front, et qui se souviendront de moi quand ils répareront leurs forces par une nourriture abondante et franche d’impôt, d’autant plus douce pour eux qu’aucun sentiment d’injustice n’y mêlera plus son amertume. »

Les applaudissemens éclatèrent de toutes parts. Après une longue et confuse émotion de la chambre, lord Palmerston et M. Hume, l’un avec une convenance habile, l’autre avec un abandon sincère, adressèrent à sir Robert Peel les témoignages d’une estime pleine d’admiration. La chambre s’ajourna au 3 juillet. Sir Robert Peel sortit, s’appuyant sur le bras de sir George Clerk, représentant de Stamford et son ami. Une grande foule encombrait la place ; tous se découvrirent à sa vue, ouvrirent leurs rangs pour le laisser passer, et l’accompagnèrent en silence jusqu’à la porte de sa maison. Le 3 juillet 1846, quand la chambre reprit ses séances, le cabinet whig, sous la direction de lord John Russell, était en possession du pouvoir.

GUIZOT.
(La fin à un prochain n°.)