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verser dans aucune mer, mais qui aboutissent à des lacs intérieurs, dont le Grand-Lac-Salé est le plus fameux.

Après avoir traversé les Montagnes-Bleues, Frémont descendit dans les riches prairies qui s’étendent jusqu’à la Colombie. En débouchant des bois, il aperçut à soixante lieues de distance la masse neigeuse du mont Hood, élevée au-dessus de la plaine au bord de l’horizon. Cette montagne est une des cimes les plus élevées de la chaîne Cascade, qui s’étend à peu près parallèlement aux côtes de l’Orégon, et que la Colombie franchit à angle droit. Frémont arriva bientôt sur les bords de ce fleuve; avec quelques-uns de ses compagnons, il franchit la série des rapides qu’on nomme les Cascades, nom qui a été aussi donné à la chaîne de montagnes volcaniques que la Colombie traverse en ce point.

De la chaîne Cascade, Frémont allait se diriger vers la limite occidentale du Grand-Bassin. Les anciens géographes avaient marqué sur les cartes un fleuve Buenaventura, qui devait couler depuis les Montagnes-Rocheuses jusqu’au Pacifique : Frémont se proposait d’en aller vérifier l’existence et de visiter les lacs qui sont situés aux abords de la Sierra-Nevada. C’était une sérieuse et difficile entreprise que de s’engager, au commencement de l’hiver, au nombre de vingt-cinq seulement, dans des régions complètement inconnues. Frémont emmena avec lui cent quatre mulets et chevaux, et pour tenir en respect les Indiens un petit canon de montagne, pareil à ceux que les troupes françaises emploient dans les guerres d’Afrique. On se mit en marche en suivant les belles prairies qui longent sur une vaste étendue cette interminable chaîne Cascade, couverte de sombres forêts et çà et là tachée de neige. Le chef de l’expédition américaine se sentit vivement tenté de monter sur ces belles cimes, que les Indiens eux-mêmes n’ont jamais gravies, et que leur imagination a peuplées de mauvais esprits; mais le temps le pressait. Il arriva, en traversant de magnifiques forêts, à une savane qui porte le nom de lac Klamath, parce qu’elle forme un lac de fraîche verdure au milieu de montagnes couvertes de noirs sapins. Frémont campa dans cette belle prairie, fit tirer le canon pour intimider les Indiens, qui, dans cette contrée, passent pour être très dangereux, et alla lui-même les visiter dans leur village; mais il essaya en vain d’en obtenir quelque in- formation sur les chemins qu’il devait suivre. Il fallut donc cheminer presque au hasard, à travers d’épaisses forêts, dans une région montagneuse qui semblait s’élever de plus en plus. On était dans les premiers jours de décembre, la neige rendait déjà la marche pénible et dangereuse, et tombait constamment à gros flocons. Les voyageurs avançaient tristement à travers les bois, quand tout à coup ils arrivèrent sur la crête d’une immense muraille presque verticale; à