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un obstacle insurmontable à la construction d’un chemin de fer. Il est donc assez difficile aussi d’invoquer l’argument du climat contre les routes septentrionales tracées dans les provinces américaines vers les latitudes de 47 à 45 degrés, A tous les autres égards, nous avons cherché à faire apprécier la supériorité de ces tracés sur le tracé méridional; mais il est encore une raison de fait que nous avons laissée hors de la question. Si depuis soixante ans la puissance politique aux États-Unis appartient au sud, la puissance financière s’est de plus en plus concentrée dans les états de la Nouvelle-Angleterre. Le nord seul peut fournir l’énorme quantité de capitaux nécessaire pour achever une entreprise telle que le chemin de fer du Pacifique. Suivant les calculs approximatifs des rapports soumis au congrès, — et l’on sait que ce genre d’évaluations est toujours inspiré par un optimisme très complaisant, — il ne faudrait pas moins de quinze ans pour achever la ligne entière, et les frais de construction monteraient à 5 ou 600 millions. Quiconque connaît la condition des états à esclaves comprendra aisément qu’ils seraient impuissans à faire seuls de tels sacrifices, et, dans l’état actuel de l’opinion en Amérique, il ne paraît guère probable que le nord consente à épuiser toutes les ressources de son crédit pour investir le sud d’une puissance nouvelle dont personne ne peut apprécier la portée.

On est ainsi naturellement amené à répondre à une dernière question. Si le chemin de fer du Pacifique est construit, par qui et comment le sera-t-il? Une vive polémique s’est récemment engagée sur ce point aux États-Unis. Les partisans du tracé méridional prétendent que le gouvernement fédéral doit lui-même se mettre à la tête de l’entreprise, et cherchent à en faire peser les frais sur l’Union tout entière. Cette proposition, dont le colonel Benton s’est constitué le principal défenseur, a été attaquée avec les argumens que dans tous les pays on peut invoquer contre la construction des chemins de fer par l’état; mais en Amérique elle est de plus inconstitutionnelle. Le pouvoir exécutif n’y a été investi que des attributions qui lui sont strictement nécessaires, et il est contraire à l’esprit de la constitution que le gouvernement central exécute des entreprises telles que des chemins de fer ou des canaux. On cesserait d’y être fidèle, si l’on n’évitait pas de mettre aux mains du pouvoir un immense et nouveau patronage, et de faire dominer dans la solution des problèmes économiques des considérations d’un ordre politique qui doivent y rester étrangères. Il est d’ailleurs si bien établi aux États-Unis que les chemins de fer doivent être exécutés par des particuliers, que les défenseurs de la construction par l’état ont parfois été obligés d’avoir recours aux plus étranges raisons. L’honorable M. Davis, secrétaire de la guerre, a été jusqu’à prétendre que le