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gouvernement avait le droit de faire lui-même le chemin de fer du Pacifique, parce qu’il pouvait le classer au nombre des routes militaires. Si l’on ne savait à quel degré l’on arrive à pousser l’impudeur du sophisme au service d’une mauvaise politique, on ne comprendrait pas comment un homme d’état a pu invoquer un pareil argument, qui ne mérite pas d’être discuté. Au reste le système de M. Davis a obtenu peu de succès, et aujourd’hui il est admis aux États-Unis que, comme toute entreprise de cette espèce, le chemin de fer du Pacifique doit être abandonné à l’initiative privée.

Parmi ceux qui se sont offerts à le construire et qui ont des premiers prôné cette gigantesque entreprise, il faut citer particulièrement M. Asa Whitney, de New-York. Le plan financier qu’il avait conçu pour l’achèvement du chemin de fer du Pacifique est assez original pour mériter d’être rapporté. Il proposait de le faire partir du lac Michigan et de le diriger vers l’Orégon, et demandait que, sur le longueur totale de ce parcours, qui n’a pas moins de 2,000 milles, le gouvernement central lui vendît toutes les terres, sur une largeur de 60 milles, au prix de 2 cents (à peu près 10 centimes) par acre. M. Whitney fût devenu ainsi acquéreur de 78 millions d’acres au prix de 1,600,000 dollars seulement. Sur les 800 premiers milles au-delà de la région des lacs, il comptait revendre aisément les terres, qui y sont presque partout propres à la culture ; mais il se proposait de n’en vendre, en commençant, que la moitié, et de garder le reste comme fonds de réserve pour continuer le chemin dans les régions infertiles. Il estimait que, sur une longueur de 430 milles du côté de l’Océan-Pacifique, les terres eussent aussi facilement trouvé des acheteurs ; le fonds de réserve s’appliquait donc à la partie intermédiaire du chemin. En supposant que le quart seulement de l’émigration annuelle se portât de ce côté, et que chaque famille achetât 160 acres de terre, M. Whitney estimait que la ligne entière pourrait être achevée dans l’espace de quinze ans.

À l’époque où M. Asa Whitney, alors simple commis dans une maison de commerce de New-York, fit sa singulière proposition, elle excita une assez vive sensation, mais il n’y fut pas donné suite. Cependant toutes les demandes qui sont actuellement soumises à la sanction législative sont fondées sur des bases analogues. Il est bien certain qu’en principe le moyen proposé par M. Whitney paraît le plus rationnel. Acheter à bas prix une immense quantité de terres actuellement inhabitées et improductives, subvenir aux dépenses de la construction du chemin de fer en revendant à mesure les terres traversées par les tronçons déjà terminés, est une opération aussi simple que féconde : c’est placer l’entreprise dans les véritables conditions qui peuvent en assurer le succès, en l’entourant d’une