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bienveillance ne saurait être mise en doute, n’hésite pas à désapprouver? Ne craint-il pas que ces pages téméraires, publiées il y a vingt ans, ne témoignent aujourd’hui contre lui?

Quant au jugement que j’ai porté de ses œuvres, je n’ai rien à y changer. Si j’avais su l’année dernière ce que je sais maintenant, j’aurais appris au public ce que je viens d’apprendre; mais je serais arrivé malgré moi aux mêmes conclusions. Les révélations de M. Ochoa auraient offert au lecteur un agréable délassement, mais n’auraient pas altéré les conditions de la peinture. Pour approuver ce que j’ai désapprouvé, je n’aurais pu invoquer que le baptême miraculeux de don Federico, et la race des incrédules est si nombreuse parmi nous, que j’aurais eu bien des chances contre moi. Les amis de M. Madrazo me reprocheront de l’avoir jugé comme un homme ordinaire, sans m’enquérir de ses antécédens. C’est le seul reproche que j’accepte de leur part, et je n’essaie pas d’y répondre. Depuis vingt-cinq ans, j’ai toujours estimé les œuvres que j’avais étudiées sans tenir compte de la vie de l’auteur. Ce n’est pas que je dédaigne la biographie; je souhaite vivement que tous les artistes contemporains trouvent dans leur famille un historien aussi dévoué, aussi fidèle, aussi disert que M. Ochoa; mais comme il n’est pas donné à l’homme de pénétrer les desseins de la Providence, de savoir quelle tâche elle assigne aux lutteurs entrés dans l’arène, en parlant d’un tableau, d’une statue, d’un poème, le plus sage est peut-être de nous en tenir aux lumières de la raison naturelle. Au-delà des Pyrénées, on est parfois d’un autre avis, j’ai lieu de le penser. M. Ochoa, en écrivant la biographie de don Federico, n’aurait pas insisté sur l’enfance merveilleuse de son héros, s’il n’avait pas trouvé autour de lui des esprits tout prêts à recueillir sa parole sans la discuter. En-deçà des Pyrénées, les récits merveilleux n’obtiennent pas un accueil aussi empressé. Il ne dépend pas de moi de changer les habitudes intellectuelles de mon pays. A quoi donc se réduit ma faute envers don Federico ? J’ignorais sur lui les grands desseins de la Providence, et j’ai parlé de lui aussi librement que des peintres les plus illustres de l’Europe. Aujourd’hui, malgré les révélations de son biographe, je n’ai pas changé d’avis. Il s’étonne de mon endurcissement et s’indigne de mon incrédulité. Hélas! je lutterais en vain contre l’infirmité de ma nature : la foi n’est pas un acte volontaire, et je n’ai visité Saint-Pierre de Rome que vingt-cinq ans après le baptême de don Federico.


GUSTAVE PLANCHE.