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Madrazo réussit dans son entreprise, s’il transforme les questions de goût en questions de dignité et de considération personnelle, il aura mérité les honneurs décernés à l’Apollon Pythien. Les peintres de tous les pays, délivrés par lui du serpent venimeux qui ravageait les plus riches contrées de l’imagination, n’hésiteront pas à lui dresser des statues. S’il lui prend fantaisie de se mettre en voyage, il trouvera sur sa route des arcs de triomphe improvisés par la reconnaissance de ses contemporains. Il ne marchera plus qu’au bruit des fanfares. Tous les musées de l’Europe réserveront à son image une place d’honneur; un distique latin indiquera les services éminens rendus par lui aux arts libéraux.

C’est ce que j’appellerai le côté poétique de la question. Revenons au côté prosaïque. Des personnes très dignes de foi m’assurent que dans sa patrie même don Federico de Madrazo est dès à présent très sérieusement discuté. On s’accorderait à reconnaître, au-delà des Pyrénées comme en-deçà, qu’il n’appartient pas à la famille de Murillo et de Velasquez. L’exemple fâcheux donné par la France aurait porté en Espagne de bien tristes fruits. Le peintre prédestiné dont le baptême opérait si miraculeusement la conversion d’un prince protestant serait jugé à Madrid même avec une témérité qui touche à l’hérésie. C’est pour moi sans doute un grave sujet de réflexion. Chaque fois que j’y songe, l’immense responsabilité qui m’est imposée me frappe d’épouvante. Avoir compromis une telle gloire, quel remords pour ma vie tout entière! Ni sommeil ni repos, toujours et partout le souvenir d’une parole imprudente que je voudrais en vain effacer! Cependant tous ceux qui s’associent à ma faute allègent à leur insu ma responsabilité. Qu’il me soit donné de lire en langue castillane : « Don Federico de Madrazo n’est pas le premier peintre de toutes les Espagnes et du monde entier, » et j’espère qu’un sommeil bienfaisant, un sommeil réparateur viendra visiter mes paupières. Mes nuits ne seront plus tourmentées par des songes vengeurs. Si les écrivains espagnols expriment leur sentiment en paroles timides, s’ils ne disent pas franchement le rang qui appartient à don Federico dans l’histoire de la peinture, mon sort est digne de pitié. Puisse donc ma voix parvenir au-delà des Pyrénées et recruter pour moi de vaillans défenseurs! Si le secours que j’invoque venait à me manquer, je n’aurais plus qu’à jeter ma plume au feu.

Comment don Federico, peintre et journaliste, s’est-il décidé à me faire un procès? Je n’essaierai pas de le deviner. A-t-il bien mesuré toutes les conséquences de sa résolution? A-t-il oublié les pages écrites dans sa jeunesse, et que son biographe même, dont la