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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/659

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d’une société systématiquement démocratique. Cependant, pour voir clairement combien la France actuelle tient de la vieille France, ou combien elle était autrefois ce qu’elle est aujourd’hui, il faut la regarder en elle-même, et non sous les apparences qu’elle a gardées jusqu’au moment suprême ; il faut arracher le voile qui la couvre dans l’histoire, et montrer au vrai comment la nation civile était constituée, administrée, réglementée, ce qu’elle faisait et ce qu’elle pensait derrière cette décoration un peu théâtrale de l’ancienne monarchie, sorte de monument gothique restauré dans le goût moderne, mais dont la façade seule était debout. C’est en pénétrant avec une curiosité intelligente et minutieuse dans les détails de la vie de l’ancienne France que M. de Tocqueville a su donner de l’intérêt à ses recherches, de l’originalité à ses remarques, de la solidité à ses conclusions.

Et qu’on ne croie pas qu’il soit bien aisé de retrouver avec exactitude les traits oubliés de l’ancien régime. Les livres ne manquent pas où ses mœurs se sont empreintes, où se rencontrent de continuelles allusions aux lois, aux autorités et aux usages qui régnaient encore au XVIIIe siècle. Les archives officielles n’ont point été réduites en cendres. Enfin les hommes de ce temps sont nos pères. Nous avons vécu avec ceux qui avaient vu sur pied le monument dégradé du règne de Louis XIV. Quelques-uns, — ils deviennent bien rares, — sont encore là pour nous initier à leurs souvenirs. Néanmoins personne n’est sans avoir éprouvé quelle peine il aurait à se représenter exactement comment on vivait alors, surtout comment s’expédiaient les moindres affaires, comment allait le train des choses. La vérité en cela est même si difficile à joindre, que, pour qu’elle nous échappe, il suffit des moindres préventions que le présent nous suggère. M. de Tocqueville a suivi dans son travail une habitude qu’il s’est faite, et qui convient aux esprits supérieurs, mais qui peut-être ne convient qu’à eux. Il a écarté tout ce que d’autres avaient trouvé, écrit, pensé. Il a marché droit aux choses mêmes, consultant les pièces et non les livres, s’enquérant des faits et non des réflexions d’autrui. Ce qu’il nous donne est le résultat de l’observation directe. Il a voyagé dans les ruines, il les a vues et dessinées d’après nature. L’ouvrage en est à la fois plus vrai et plus animé. S’il avait plus consulté ses devanciers, il n’aurait pas manqué de rencontrer sur son chemin un livre intéressant, dont le sujet est le même que le sien. Un membre de nos dernières assemblées, non moins recommandable par son caractère que par un esprit ferme et indépendant, M. Raudot, a publié en 1847 un ouvrage intitulé la France avant la Révolution. L’ouvrage est solide, instructif, inspiré visiblement par l’amour du bien public. L’auteur est, autant que