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conçue dès longtemps, il a pu depuis lors étudier dans les choses le fort et le faible, restreindre la généralité, limiter l’application ou constater la justesse; mais la démocratie n’a pas cessé de lui paraître le fait dominant du monde contemporain, le danger ou l’espérance, la grandeur ou la petitesse des sociétés actuelles dans un prochain avenir. Il a, dans la préface de son nouvel écrit, résumé sous une forme vive et frappante les caractères de ces sociétés, quand le principe démocratique a commencé à s’emparer d’elles. Le tableau est tracé d’une main ferme et sûre, qui n’outre rien, qui ne néglige rien, qui sait unir la précision du dessin à la vérité du coloris. On y voit que le peintre, avec son talent, a conservé son point de vue. Il n’a pas changé de système, de manière ou d’idées. Ni une expérience de vingt ans, ni quatre années d’études et de réflexions consacrées à son ouvrage, n’ont altéré ses convictions. Grâces lui en soient rendues, il croit encore ce qu’il pense.

Il savait bien, en commençant son ouvrage, que les Français avaient fait en 1789 le plus grand effort auquel se soit jamais livré aucun peuple, afin de couper pour ainsi dire en deux leur destinée, et de séparer par un abîme ce qu’ils avaient été jusque-là de ce qu’ils voulaient être désormais. Il ne doutait guère que cet abîme ne fût de ceux qu’on passe sans retour, et qu’il ne fût impossible de relever ce que la révolution avait détruit. Toutefois, en cherchant à redresser et à mesurer par la pensée l’édifice écroulé, il a reconnu, ce qu’il n’avait d’abord que soupçonné, que le changement opéré dans notre société était plus profond qu’il n’avait été subit, que, venant de plus loin, produit par des causes anciennes et permanentes, il tenait moins de la nature d’un fait révolutionnaire que d’un résultat historique, et que la révolution avait plutôt manifesté que transformé la France, trop peu transformé sans doute, car, en faisant tomber en poudre de vieilles institutions qui n’existaient plus que pour l’apparence, elle a mis à l’aise et comme en lumière une nation réelle, que les siècles n’avaient pu façonner pour de nouvelles institutions qu’ils n’avaient point faites, si bien que cette nation a passé tout entière d’un régime à l’autre, moins modifiée dans sa nature que dans sa situation, dans ses mœurs que dans ses lois, dans ses lois que dans son gouvernement, et que, ses habitudes entrant en lutte avec ses idées, elle a conservé ou repris du passé tout ce qui était à elle, tout ce qu’elle avait paru abolir avec ses formes politiques, tout ce qui, plus vivace et plus durable, pouvait à la rigueur s’encadrer dans les formes nouvelles, et devenir, à certains égards, la manière d’être