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peut augurer d’une demande d’armistice adressée par la ville au général Dulce, envoyé en Aragon. Quant aux autres villes qui se sont prononcées, obéissant à une sorte d’influence épidémique, elles font successivement leur soumission. C’est là ce qu’on peut appeler la période du combat.

Mais, observera-t-on, au milieu de toute cette crise, où donc est le duc de la Victoire, pour qui des villes se prononcent et deviennent le théâtre de sanglans conflits ? Il faut bien le dire, Espartero n’est nulle part, ou plutôt il est resté tranquille et muet dans sa maison, à Madrid, depuis le jour de sa démission. On s’est étonné de cette inaction dans de telles circonstances, parce qu’on s’est plu à se créer un personnage de convention très différent du personnage réel. On reproche aujourd’hui à Espartero de manquer des qualités qu’il n’eut jamais. Le duc de la Victoire a été un courageux soldat ; c’est un homme d’instincts honnêtes, mais dépourvu de toute initiative politique, irrésolu et inactif par sa nature, sujet d’ailleurs à une infirmité cruelle qui paralyse souvent ses facultés. La popularité est sa faiblesse ; mais comme ce n’est point là un moyen de gouvernement très efficace, quand la popularité est épuisée, quand elle ne suffit plus et qu’il faut agir, le héros tombe. Lorsque le duc de la Victoire a joué un rôle politique, c’est qu’il était en quelque sorte porté par les événemens, qui l’entraînaient bien plus qu’il ne les conduisait. Il n’en était point de même aujourd’hui ; deux ans de règne ont singulièrement amoindri le crédit des idées révolutionnaires, et une des forces du général O’Donnell était le sentiment de lassitude répandu dans tout le pays. Ce qui était la force d’O’Donnell était la faiblesse d’Espartero, et dans cette lutte inégale il est peut-être assez simple que le duc de la Victoire n’ait pas voulu aller figurer comme un insurgé de plus à la tête de la milice nationale, après avoir, dans des circonstances récentes, manifesté son dévouement à la monarchie constitutionnelle et à la reine.

Lorsque des événemens comme ceux qui viennent de s’accomplir au-delà des Pyrénées sont encore flagrans pour ainsi dire, ils restent enveloppés d’une certaine obscurité. Il est difficile d’en mesurer toutes les conséquences ; on peut du moins en mesurer jusqu’à un certain point la portée morale et politique. Jugée au point de vue des faits, il est évident que la crise d’où est sorti le ministère du général O’Donnell n’est nullement un coup d’étal véritable. Le nouveau cabinet n’a pu détruire une constitution qui n’existe pas, qui n’est pas promulguée, et qui par conséquent est sujette à révision sans qu’il y ait aucune illégalité. Il n’a point violé l’autorité des cor tes parce qu’il a refusé d’accepter la motion injurieuse d’une minorité révolutionnaire déllLérant sans mandat. En nommant un ministère autre que celui qui existait jusque-là, la reine n’a fait qu’user de la prérogative la plus simple de la souveraineté. En domptant la sédition par les armes, le ministère n’a fait que défendre la loi, audacieusement attaquée. Dans tous ces actes, on n’aperçoit pas la trace de ce qu’on peut nommer un coup d’état, c’est-à-dire d’une suppression systématique et absolue des institutions existantes ; mais il n’est pas moins vrai que la lutte a changé la condition des choses. Par cela même que le succès de l’insurrection eût été une menace pour la monarchie, sa défaite doit inévitablement avoir des conséquences conservatrices. En définitive, comme nous le disions, c’est une révolution ramenée