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REVUE. — CHRONIQUE.

pistant un bouquin précieux, la joie concentrée de l’amateur de tableaux découvrant sous la poussière des siècles une toile de maître ; M. Riehl raconte qu’un tressaillement de ce genre s’empara de toute sa personne lorsqu’on compulsant les paperasses enfumées d’une vieille collection hollandaise de manuscrits il mit la main sur deux cantates inédites d’Astorga. Dans le monde des lettres et de la poésie, quelqu’un qui découvre un trésor a d’ordinaire pour première idée de le publier. En fait de découvertes musicales, c’est, je le crains bien, tout le contraire qui se passe ; c’est un charme, à ce qu’il paraît, si délicieux que de posséder un chef-d’œuvre à soi tout seul et d’en jouir sans partage aucun ! Puis combien trouverait-on aujourd’hui en Europe de personnes s’intéressant à Astorga et capables de concourir aux frais d’une édition de ses ouvrages ! Il y a quelques années, à l’occasion du centième anniversaire de la mort de Sébastien Bach, une gloire universelle celle-là, l’orgueil de l’Allemagne entière, il fallut qu’une société se constituât pour qu’après un siècle une édition correcte et complète des œuvres de ce grand maître national devînt une entreprise possible, et Bach fut publié, ô misère des temps ! par souscription dans sa propre patrie ! Il existe pourtant une édition du Stabat d’Astorga, édition imprimée naguère par les soins de quelques amis enthousiastes et jaloux de mettre le public dans la confidence des beautés qui les avaient ravis. Chose étrange, ici encore tout est anonyme ; si vous parcourez la page servant de frontispice à cette partition, vous n’y voyez qu’une croix, une simple croix, et point de nom, comme sur ces tombes désertes dont la pierre recouvre une existence marquée du sceau de la fatalité. Ce qu’on sait désormais d’Emmanuel d’Astorga, c’est qu’il eut pour père un gentilhomme de race, décapité par la main du bourreau, qu’il fut l’ami des princes de son temps et l’amant d’une belle princesse, tour à tour poète, musicien, damoiseau, anachorète : voilà l’histoire et le roman. Quant aux lacunes, s’il en reste, c’est à l’imagination de les combler en s’aidant de ses œuvres, que je tiens pour le meilleur commentaire de sa vie.


H. BLAZE DE BURY.


ÉLÉMENS DE L’ÉCONOMIE POLITIQUE, par M. Joseph Garnier[1]. — Nous avons déjà saisi l’occasion, à propos de la réimpression des leçons professées au Collège de France par M. Michel Chevalier, de revendiquer pour l’économie politique la dénomination de science, qui lui a été fréquemment contestée. S’il était nécessaire de revenir sur ce point, la nouvelle édition du livre publié par M. Joseph Garnier viendrait à l’appui de notre démonstration. L’économie politique est bien une science dont on peut exposer les principes, définir les termes et suivre l’application à travers les faits multiples et si variés qui se produisent dans l’organisation matérielle, comme dans la vie morale des sociétés. Elle a été lente à se constituer, cela est vrai, à posséder ce qu’on appelle un corps de doctrine ; mais c’est là précisément ce qui la rend recommandable et lui permet de s’exprimer aujourd’hui avec autorité, car, procédant directement de l’observation et de l’expérience, elle a dû étudier les effets avant de remonter aux causes, et elle s’est

  1. Un volume, chez Guillaumin, Paris 1856.