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LES


VISIONS DE LA TENTE





La tente est de toutes les habitations humaines celle qui est le moins séparée du ciel et de ses mystères. Le matin, le soleil l’envahit; la nuit, les étoiles la pénètrent de leurs rayons; la nature y mêle sa vie indifférente et éternelle à notre courte et inquiète existence. Je me rappelle avoir eu au pied de mon lit une touffe de ces fleurs qui nous regardent, comme dit Henri Heine, avec des yeux attrayans et insensibles, semblables à ceux d’une courtisane pour qui on dépense sa dernière pièce d’or. Rien d’étonnant à ce qu’un pareil séjour soit hanté par d’étranges hôtes. C’est sous la tente que le sommeil m’a subjugué par ses sortilèges les plus puissans. Que de fois je m’y suis réveillé, perdu dans un plus formidable chaos que tout ce monde violent et confus remué par les imaginations allemandes! Tandis que le hennissement d’un cheval échappé pénétrait dans mes oreilles, que mon regard percevait vaguement les murs transparens de mon abri tout imprégnés des clartés de la lune, tandis qu’enfin mes organes réguliers et visibles renaissaient à ce monde, cette autre partie mystérieuse de moi, qui a des oreilles et des yeux aussi (le magnétisme nous le démontre), restait engagée dans la vapeur lumineuse des songes. Ainsi, tout en me remuant sur mon lit de cantine, j’étais encore dans cette maison qui peut-être est restée la plus grande de mes affections terrestres, cette maison où j’ai cm aux fées, où j’ai interrogé avec une curiosité pleine d’émotion les profondeurs de la citerne, où l’été j’ai compris chaque brin du