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près de la vraie religion que l’orthodoxe. S’il a ce qui caractérise l’âme religieuse, le désir, si ses doutes, au lieu d’être des prétextes de mépris pour la vérité, sont des anxiétés et des tressaillemens intérieurs, et si, comme eût dit saint Augustin, sans aimer encore, il aime à aimer, ce sceptique pourra bien être exclu de toutes les églises de pierre et de métal ; mais j’ai la ferme espérance qu’il appartient à l’église invisible, à celle devant laquelle les credo pharisaïques ne sont d’aucune utilité, à cette véritable église catholique sans exclusivisme ni intolérance, qui proclame la paix sur la terre et dans le ciel pour tous les hommes de bonne volonté. Nos modernes chrétiens semblent avoir oublié que, si la foi nous sauve, à plus forte raison le fondement de la foi doit nous sauver, et que ce fondement n’est autre que la bonne volonté, l’unique vertu à laquelle le Christ ait fait appel, et dans laquelle il ait fait consister les conditions du salut.

M. Conybeare pose indirectement une autre question qui regarde les purs incrédules, qui est beaucoup plus délicate que toutes les autres, et demande à être traitée avec beaucoup de candeur. Peut-on être honnête homme et être incrédule ? Cette question m’a toujours paru un piège, car elle confond des choses qui veulent être distinguées et s’appuie sur certains détails qui sont très vrais pour formuler une proposition générale qui est absolument fausse. Nous ne refuserons pas d’accorder à ces détails toute l’importance qu’ils méritent, nous n’accorderons pas à la morale humaine plus d’action qu’elle n’en peut avoir en réalité.

Et d’abord qu’entend-on par incrédules, et de quels incrédules s’agit-il ? Il y en a de bien des espèces ; il y a l’incrédule par raison et par logique, l’homme qui repousse tout principe religieux et s’appuie sur la pure morale humaine ; il y a l’incrédule par légèreté, l’homme qui ne s’est donné ni le temps ni le soin de méditer sur les principes de la religion et qui va droit à la morale la plus facile ; il y a enfin l’incrédule par perversité naturelle ou dépravation progressive, et celui-là n’est guère autre chose qu’un scélérat. Or une des tactiques habituelles des théologiens, et généralement des défenseurs officiels et officieux des différentes églises, est de confondre en un seul et même type odieux ces diverses sortes d’incrédulité. L’incrédule pour eux est principalement l’homme qui s’est dérobé à toute contrainte morale et qui trouve dans l’incrédulité un auxiliaire complaisant à ses débordemens et à ses vices. Un tel homme mériterait plutôt le nom d’impie et n’a rien de commun avec l’homme qui, n’ayant pu persuader sa raison de la vérité des dogmes métaphysiques de la religion, croit trouver dans sa conscience les règles nécessaires à la conduite de sa vie. Unir nécessairement l’immoralité à l’incrédulité