Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/727

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

métaphysiques dont ce siècle a été témoin. Il n’est peut-être pas aussi facile que le croit M. Conybeare de résister à ces nouveautés et de passer à côté d’elles en disant : Je ne vous connais pas ! Ce qui est certain toutefois, c’est qu’aussitôt qu’on a cédé à sa curiosité et qu’on a eu commerce avec ces nouveaux enfans de la recherche métaphysique, un élément de doute s’introduit en vous. Il y a des jours qu’on n’oublie point dans la vie morale pas plus que dans la vie sociale, des jours d’aventures et de subite expérience, où le drame, pour se passer dans les régions de la pure intelligence, est aussi émouvant que s’il se passait dans les régions de la plus sensible réalité. Combien ceux qui ont vécu de la vie intellectuelle ne pourraient-ils pas citer de ces jours qu’on n’oublie pas ? C’est un jour d’amère expérience, par exemple, que celui où, cartésien décidé, convaincu de la puissance de la raison à expliquer les choses qui ne sont pas nous, vous vous êtes trouvé face à face avec le principe du kantisme. Quelle révolution s’accomplit en vous, lorsque vous êtes forcé de reconnaître que vous n’avez aucune idée vraie des choses, que tout ce que vous avez pensé du temps et de l’espace, du monde et de Dieu, n’est pour ainsi dire qu’un prolongement de vous-même, et que toutes vos recherches ne peuvent aboutir qu’à vous objectiver vous-même ! Élevé dans la doctrine la plus chrétienne, vous reculez avec terreur devant les doctrines impies qui portent le nom de panthéisme ; vous vous dites, pour vous raffermir dans vos croyances, que ces doctrines sont encore plus impuissantes que toutes les autres à vous expliquer le principe premier de la vie. Prenez garde cependant d’être tenté d’appliquer ces doctrines à la science du monde physique, aux recherches historiques, à l’explication des arts et des littératures, car les résultats que vous obtiendrez sur des sujets si éloignés en apparence de votre foi seront peut-être si merveilleux, si lumineux, si saisissans, que l’effet en sera irrésistible. Et cependant quel autre moyen que l’aveuglement volontaire aviez-vous devons retenir sur cette pente de la curiosité ?

Le sceptique est-il un être nécessairement irréligieux, et les doutes qui remplissent sa conscience sont-ils nécessairement des élémens de perversité ? M. Conybeare l’affirmerait volontiers ; mais si la vraie marque de la foi, c’est la sincérité de la conscience, pourquoi donc un honnête sceptique, qui, au lieu d’esquiver ses doutes, les aborde bravement, mériterait-il l’épithète d’impie ? A-t-il moins de souci de la vérité et des choses divines que l’orthodoxe qui n’a jamais connu l’inquiétude ? Envions l’orthodoxe lorsque cette paix de l’âme a été conquise au prix d’efforts intérieurs, ne l’envions pas lorsqu’il doit sa tranquillité à une prudente désertion devant le doute. Bien loin d’être irréligieux, le sceptique peut être très souvent beaucoup plus