Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/731

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

incrédules et aux sceptiques la justice qu’il leur refuse et qui leur est due. Le triomphe que le christianisme remporte sur le dégoût physique est plus grand encore à notre avis que le triomphe qu’il remporte sur les instincts de la vie. L’homme le plus bienfaisant et le plus charitable recule devant le spectacle des plaies, l’odeur de la paille infecte, le lit de mort de l’agonisant. Il peut ne pas craindre la contagion, il recule devant l’horreur. Le christianisme est ici en contradiction formelle avec la nature physique. Il est aussi innocent de reculer devant un spectacle repoussant que de satisfaire sa soif ou sa faim ; cependant le christianisme condamne cette faiblesse fort excusable. Les miracles qu’il accomplit sur les femmes, les plus nerveux et les plus impressionnables des êtres, sont sous ce rapport surprenans. Je sais qu’on peut plaider la cause de la nature et des instincts féminins, mais tout le monde sait aussi que les femmes ont une répugnance invincible pour tous les objets repoussans. Cette force morale propre au christianisme, cette victoire de l’âme sur la nature, sont bien exprimées dans un passage de Perversion. Un des héros du livre, le sceptique Charles Bampton, atteint d’une maladie mortelle, a été soigné avec un désintéressement angélique par la femme d’un clergyman, M. Williamson. Il s’étonne de la courageuse charité de cette femme, qui ne recule devant aucun dégoût, et de l’égalité d’âme, de la gaieté héroïque avec lesquelles elle accomplit des devoirs qu’elle s’impose, et qu’aucune loi morale n’a le droit de lui commander.


« — Comment se fait-il, dit Charles, que mistress Williamson, tendre et sensible comme elle l’est, ait une aussi merveilleuse énergie pour supporter la vue de ces détails de misère et de souffrance qui me déchirent le cœur quand je les contemple, quoique je n’aie pas la dixième partie de sa force de charité ?

« — Cela ne pourrait-il pas provenir, répondit son ami, de ce que sa charité a sa source dans le devoir et la vôtre dans le sentiment et les impulsions généreuses ?

« — Mais assurément ! s’écria Charles, une charité qui aurait sa source dans le froid sentiment du devoir, et non dans les impulsions spontanées de l’affection, serait une manière de philanthropie maussade et glacée : je suis sûr que la bonté de mistress Williamson n’est que la floraison naturelle de son cœur aimant.

« — Je suis bien loin de dire le contraire, répondit le clergyman, mais je doute que la sensibilité d’un cœur plein de tendresse suffise pour nous donner le courage de contempler avec fermeté le spectacle des fardeaux que nos semblables ont à supporter. Bien plus, peut-être cette sensibilité naturelle pousserait-elle celui qui en est doué plutôt à fermer les yeux devant le spectacle de la misère qu’à soulager les maux que notre chair a reçus en héritage.