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cette disette de doctrines par des bizarreries du genre le plus contestable, par la concordance des prophéties et la prédiction du millénium. Sa religion, si par hasard il en a une, est un mélange de latitudinarisme jésuitique et d’intolérance aveugle ; ainsi il est très coulant sur les pratiques religieuses, aussi coulant qu’il l’est pour lui-même dans l’accomplissement des devoirs de charité ; pourvu qu’on aille à ses sermons, on sera sauvé. En revanche, s’il est facile sur le chapitre de la pratique religieuse, il est plus que puritain sur le chapitre du dogme, et il prêche la prédestination avec une ardeur de calviniste. Damner les gens métaphysiquement ne coûte rien et vous donne à bon marché un air de rigorisme qui vous sied bien ; mais il faut y regarder à deux fois avant de recommander la pratique de la charité ou de la morale, cela peut détourner les fidèles de votre église. Il a trouvé pour le protestantisme anglican de nouveaux alliés, ce sont les Juifs. Il travaille à leur rétablissement, ou plutôt il le prophétise à tue-tête, il leur ouvre la Palestine et les portes du ciel ; mais sa tolérance ne s’étend pas jusqu’aux papistes, pour lesquels il élargit les appartemens infernaux. M. Morgan, le high churchman, n’a pas pour les papistes la même aversion ; il concède qu’ils peuvent être sauvés et que l’église de Rome est aussi près de l’église d’Angleterre que les juifs et les calvinistes. Il est aussi coulant sur le dogme que M. Moony l’est sur la pratique. Croyez à la hiérarchie épiscopale, souscrivez à la société pour la propagation de l’Évangile, lisez et répandez de bons petits traités, faites don à l’église de belles nappes d’autel, soyez docile à votre pasteur spirituel, et vous serez sauvé. Des deux côtés, on le voit, le salut est à bon marché. L’incertitude sur le fondement de l’église est égale de part et d’autre. Qu’est-ce qui constitue l’église ? M. Moony inclinerait à faire la part du protestantisme plus large que celle de la hiérarchie ; il pousserait volontiers vers le calvinisme ; M. Morgan inclinerait plutôt vers le catholicisme. La soudure qui réunissait ces deux parties du compromis anglican est rompue, et quelquefois les clergymen de M. Conybeare sont inquiets de savoir si leur église est réellement une église véritable. Il y a une curieuse caricature de missionnaire anglican qui a voyagé en Orient, et qui s’est fait baptiser une demi-douzaine de fois dans les églises grecques, afin d’être bien assuré qu’il est chrétien. Cet honnête homme n’est pas bien convaincu que l’église grecque ne soit pas plutôt que l’église anglicane la véritable église. En effet ne possède-t-elle pas, elle aussi, la hiérarchie épiscopale ? n’est-elle pas séparée de Rome et ne s’intitule-t-elle pas orthodoxe, comme l’église anglicane s’intitule catholique ? Mais là où sa supériorité se révèle, c’est dans sa manière d’administrer le baptême : dans l’église anglicane, on n’est jamais sûr d’être baptisé ;