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essentiel de leur institution, car ne sont-ils pas nés du besoin d’empêcher les forts d’opprimer les faibles? Or les privilèges que les compagnies accordent peuvent avoir précisément cet effet. Il y a plus : s’il s’agit de monopoles constitués par elles pour opérer des transports complémentaires, ces monopoles, échappant à toute réglementation, auraient de plus graves conséquences que celui dont jouissent les compagnies elles-mêmes.

Les récriminations qui portent sur l’élévation des tarifs sont à peu près identiques au fond à celles qui s’appuient sur le principe de l’égalité. Que veut-on dire quand on reproche aux compagnies l’élévation des tarifs? On ne dénonce pas sans doute des pratiques tendant à excéder le maximum légal. La plainte signifie, ou bien que toutes les réductions légitimes ne sont pas opérées, ou bien que dans les abaissemens consentis la raison qui les dicte est puisée en dehors de l’intérêt public. Cette dernière objection s’applique surtout aux marchandises. Chacun sait que les tarifs, en ce qui concerne le transport des matières, sont loin d’être uniformes. Outre les distinctions établies entre les diverses classes d’articles, il y en a d’autres qui constituent ce qu’on appelle les tarifs de faveur et les tarifs différentiels. Ces modes spéciaux de tarification peuvent avoir les plus graves conséquences. Qu’une compagnie traite avec un établissement important qui consomme une grande masse de matière première, de la houille, du coton ou du bois, et qui peut dès-lors s’obliger à en faire venir chaque année ou chaque mois une quantité considérable; qu’elle le favorise d’une réduction, tandis que d’autres établissemens secondaires restent sous l’empire de la loi commune, voilà ces derniers frappés d’un coup mortel. Les tarifs différentiels, qui se rapportent généralement à la distance, peuvent engendrer des conséquences tout aussi déplorables. Par le jeu de ces tarifs, on est libre de rendre le transport moins coûteux entre deux localités très éloignées l’une de l’autre qu’entre deux autres tout à fait voisines. Telle marchandise sera voiturée de Paris à Lille à raison de 5 centimes par kilomètre et par tonne, qui en coûtera 1 0, si elle est transportée seulement jusqu’à Amiens ou jusqu’à Creil. Des produits bruts ou manufacturés partant d’un point déterminé parcourront 3 ou 400 kilomètres à des prix moindres que les mêmes produits partant d’autres lieux pour un trajet infiniment plus court. Jugez dès-lors comme il devient aisé de rendre une industrie impossible sur une place où elle était traditionnellement exercée, de bouleverser les situations réputées les plus solides.

En signalant les périlleux effets des tarifs différentiels, je ne songe cependant pas à proscrire absolument ce mode de tarification. Pour quiconque connaît le système des transports par chemins de fer, ce