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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/800

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compagnie sur le flanc du bastion n° 4. Cet étroit passage était rempli de soldats. Au fond était une lumière qui projetait sa lueur vacillante sur un groupe d’hommes couchés, mais qui paraissaient fort attentifs. Un vieux soldat se tenait près de la lumière, et lisait d’une voix traînante le passage suivant d’un livre qu’il tenait sur ses genoux :

« Prière après l’instruction. Grâces vous soient rendues, ô Seigneur ! »

« — Mouchez donc la chandelle, cria un des assistans.

« — C’est beau, ça. « Mon Dieu ! » reprit le lecteur.

« Le lieutenant ayant demandé le sergent-major, le vieux soldat se tut, et les auditeurs se mirent à échanger entre eux des réflexions à voix basse. Le major se leva, boutonna précipitamment son uniforme et s’avança vers son chef en marchant sur les hommes qui étaient étendus autour de lui.

« — Bonjour, frère, lui dit le lieutenant. Ces hommes sont-ils tous de la compagnie ?

« — Bonjour, votre honneur, lui répondit-il, soyez le bienvenu. Et il paraissait effectivement tout joyeux de revoir son commandant. Êtes-vous bien rétabli, votre honneur ? Allons, Dieu soit loué ! Le temps nous durait sans vous.

« Le lieutenant était aimé de la troupe, et dès que la nouvelle de son retour se fut répandue, on entendit répéter de tous côtés : — L’ancien lieutenant est arrivé, celui qui avait été blessé, Koseltsof Mikaïl-Stépanovitch. Plusieurs soldats s’approchèrent de lui ; le tambour était de ce nombre.

« — Bonjour, Opantchouk, lui dit le lieutenant. Tu as encore bras et jambes ? Bonjour, bonjour, les amis !

« — Bonne santé, votre honneur ! crièrent les soldats eu chœur dans toute la longueur du blindage,

« — Comment ça va-t-il, mes enfans ?

« — Pas trop bien, votre honneur, répondit un des hommes ; le Français nous abîme. Il se tient dans ses retranchemens et nous descend à plaisir.

« — J’espère bien qu’en mon honneur il se montrera dans la plaine, mes enfans. Ce ne sera pas la première fois que nous marcherons ensemble contre lui.

« — Nous serons heureux de vous obéir, répondirent plusieurs soldats. On sait que votre honneur ne boude pas devant l’ennemi.

« — C’est vrai, ajouta le tambour avec empressement. »


Le lendemain, le bombardement continue avec autant de violence que la veille. Pendant que Koseltsof renoue connaissance avec d’anciens frères d’armes, le jeune Vladimir se plaît à observer ses nouveaux compagnons. Des discussions futiles et bruyantes remplissent les rares loisirs que laissent aux officiers les grands travaux du siège. Le sous-lieutenant d’artillerie assiste à un déjeuner chez le colonel.


« On se mit à table ; le repas se composait d’une énorme jatte de chtchi un peu rance, mais fort épicé, et au milieu duquel nageaient des morceaux de viande. Personne n’avait de serviette, les cuillères étaient de bois, et il n’y avait que deux verres et une carafe d’eau pour toute la compagnie ; mais le