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d’immenses efforts longtemps soutenus et au prix d’énormes sacrifices. Le génie ancien de la civilisation, représenté par les aristocraties légataires de la féodalité, ne pouvait, quelque rudes leçons qu’il eût reçues, se tenir pour vaincu, et l’esprit de la révolution lui-même avait besoin de s’épurer à la manière de l’or qui se purifie par le feu. De part et d’autre, il y avait des passions qui voulaient s’assouvir et qui avaient besoin d’être lassées par l’adversité, comme ces maladies violentes qu’on ne peut apaiser qu’en épuisant le malade.

Cette dernière observation s’applique surtout au parti contre-révolutionnaire, soutenu et excité par les aristocraties et personnifié en elles. Le premier consul leur était odieux en proportion de ses légitimes succès, de la gloire dont il entourait la révolution française, de la consistance qu’il lui donnait par la puissance de son bras et par le caractère réparateur de son gouvernement. Sans doute on serait fondé à dire que la révolution, en sa personne, cherchait trop peu à se faire pardonner la haute fortune qu’avec lui elle s’était faite. Elle en jouissait non sans étalage. Cependant l’histoire rendra cette justice à la révolution française sous le consulat, ou pour mieux dire au grand homme qui, à partir de ce moment, la confondit avec lui-même, que s’il intervenait en maître dans les grandes affaires du continent, c’était pour résoudre, avec autant de sagesse que de vigueur, des difficultés qui, pour tout autre, eussent été insolubles. Dans l’empire germanique, à la suite de nos conquêtes sur la rive gauche du Rhin, les principautés ecclésiastiques de la rive droite devaient être sécularisées et partagées pour indemniser les princes qui avaient été dépouillés de l’autre côté du fleuve. C’était convenu en principe, mais les parties ne savaient pas se mettre d’accord, et, par leur avidité, elles donnaient un spectacle honteux. Le premier consul s’interposa heureusement, et de la manière la plus désintéressée, pour concilier des ambitions qui sans lui se fussent entre-déchirées. De même en Suisse la médiation qu’il exerça fut celle d’un homme qui sait le poids de son épée, mais elle ne fut pas moins d’un arbitre rempli d’impartialité et de modération. Les agrandissemens territoriaux qu’il donna à la France du côté de l’Italie, après la paix d’Amiens, furent-ils pour les aristocraties européennes, pour l’aristocratie anglaise en particulier, plus qu’un prétexte, et l’équilibre européen n’était-il pas déjà rompu ? Sans doute ces accroissemens constataient et consacraient la suprématie de la France en Europe ; mais cette suprématie lui appartenait de par la grandeur des principes qu’elle représentait, de par l’éclat de ses triomphes, et de par le génie du grand homme qu’elle avait à sa tête. Quant aux acquisitions, le texte et l’esprit des traités de Lunéville et d’Amiens ne s’y opposaient pas. Bien plus, elles étaient notoirement prévues,