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car le sort du Piémont était déjà indiqué bien avant la conclusion des négociations, et l’Angleterre, quand elle avait signé la paix, n’avait fait à ce sujet aucune réserve, tandis qu’elle voulait garder Malte au mépris des traités. Du moins les victoires qui nous avaient mis dans la main les provinces annexées à la France par le premier consul étaient sans tache, et les populations conquises se soumettaient avec joie. Au contraire, lorsque l’Autriche, en 1793, avait planté, au lieu du drapeau blanc, le drapeau impérial sur les murs de Condé et de Valenciennes, ou que, aux jours de nos revers en Italie, devenue maîtresse de Turin, elle avait prétendu y rester malgré les réclamations de Paul Ier en faveur du roi de Sardaigne, et lorsque l’Angleterre s’était établie dans Toulon comme chez elle et pour son compte, elles avaient indignement trahi la cause royaliste pour la défense de laquelle elles disaient avoir pris les armes, et envers les habitans elles avaient été des oppresseurs. À l’égard de l’équilibre européen, s’il était difficile aux cabinets étrangers de se résigner à voir la France dominer en Italie lorsque déjà elle tenait sous sa loi directe ou sous sa suzeraineté les bouches de l’Escaut, de la Meuse et du Rhin, il était impossible à Napoléon d’y renoncer. La fierté de la révolution française, le sentiment qu’elle avait de sa force et de sa mission dans le monde, l’attachement de la France pour des peuples qu’elle avait soustraits à un joug détesté, interdisaient au premier consul de prêter l’oreille à toute proposition qui aurait tendu à faire de l’Italie et de la Hollande autre chose que ce qu’elles étaient en 1802, des états placés sous le protectorat de la France. Les cabinets qui, par leurs démarches directes ou leur concours dissimulé, précipitèrent une fois de plus l’Europe dans les horreurs de la guerre ont encouru une grande responsabilité devant l’histoire. Si quelque chose est prouvé, c’est qu’un seul gouvernement fit des efforts sincères pour conserver la paix, et proposa avec loyauté des transactions, que repoussa la duplicité des uns, l’égoïsme ou la haine implacable des autres, et ce gouvernement fut celui de Napoléon.

Dès la rupture de la paix d’Amiens, le premier consul, avec la sûreté de son coup d’œil, vit bien que ce ne serait pas avec l’Angleterre seule qu’il aurait à compter de nouveau. Ses préparatifs militaires furent tels qu’ils pussent répondre et du côté de la mer et du côté des puissances continentales. Il jugea nécessaire d’avoir une armée de terre de 500 000 hommes. Il mit à flot tout ce qu’il y avait de vaisseaux de ligne dans les ports, et donna les ordres les plus pressans pour qu’on achevât rapidement ceux qui étaient sur le chantier, de manière à porter à cinquante le nombre de ces citadelles flottantes, avec des frégates en proportion. Ensuite il fit construire des embarcations d’un moindre échantillon pour former