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époque, une somme pareille était un secours bien plus efficace que ne le serait aujourd’hui le double : non que la valeur de l’argent ait décru dans cette forte proportion, mais la guerre se fait d’une façon beaucoup plus coûteuse, et jamais personne n’a possédé au même degré que Napoléon l’art de tirer d’une somme déterminée le plus grand effet[1].

Il fit contribuer l’ennemi lui-même à l’entretien de son armée de terre et de mer. Le Hanovre, possession de la maison régnante d’Angleterre, fut occupé par un corps de 30 000 hommes, qu’on nourrit au moyen des impositions, sans grever l’habitant, parce que l’armée hanovrienne fut dissoute. C’était en même temps un poste d’observation en Allemagne. Le royaume de Naples, dont on avait cent raisons de se méfier, puisque la reine qui le gouvernait sous le nom de son époux ne prenait pas la peine de dissimuler son antipathie pour la république française et pour le premier consul, reçut de même un corps d’armée de 15 000 hommes parfaitement commandé, qui s’établit et se fortifia dans le golfe de Tarente.

En outre, la nation lui offrit d’une manière spontanée une assistance financière indépendante de l’impôt. Ce furent des souscriptions destinées à construire une flotte avec laquelle on pût aller terminer sur le sol même de l’Angleterre la sanglante rivalité qui divisait les deux nations. Les départemens, les communes, les corporations, les particuliers s’empressèrent de s’inscrire pour de fortes sommes. Les petites villes donnaient des bateaux plats, les grandes cités ou les départemens des frégates ou des vaisseaux de ligne. En tout, ce ne fut pas moins de 40 millions, à répartir, il est vrai, sur plusieurs exercices.

Déjà le premier consul avait avisé à faire de l’argent d’une colonie lointaine qu’il était bien clair qu’on n’utiliserait pas tant que la guerre durerait ; c’était la Louisiane. En 1801, par la convention de Saint-Ildefonse, elle avait été rétrocédée à la France par l’Espagne. À la paix, le premier consul avait eu le dessein d’en pousser vivement la colonisation ; à l’approche des hostilités, il dut changer de plan, et il prit son parti avec cette promptitude qui lui était propre. Un envoyé des États-Unis, M. Monroë, le même qui depuis fut prési-

  1. Quand on compare les budgets de ce temps-là avec ceux d’aujourd’hui, il faut être en garde contre l’erreur à laquelle peut donner lieu la circonstance qu’alors les frais de perception et la majeure partie des dépenes locales n’étaient pas compris au budget de l’état. Ainsi le budget de 1837 est porté à 1 milliard 699 millions ; mais si de là on retranche les frais de perception et les sommes affectées aux localités (départemens et communes), il ne reste plus que 1 milliard 175 millions. Si l’on en rabat encore la somme qui répond à l’accroissement de la dette publique, en comprenant dans celle-ci la dette flottante, on arrive à 900 millions à peine.