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J’ai exposé précédemment le dissentiment qui existait entre l’empereur et M. Mollien au sujet des règlemens de comptes avec les entrepreneurs de service et les fournisseurs. L’empereur, qui ne voulait pas qu’il y eût d’arriéré, qui avait officiellement annoncé, en l’an IX, qu’il n’y en aurait plus, se refusait de prime abord à accorder les supplémens de crédit qui étaient nécessaires pour solder ces comptes, lorsque les fonds alloués par le budget avaient été dépensés, et il ne lui déplaisait pas qu’on suscitât des difficultés à cette catégorie des créanciers de l’état. M. Mollien, que les autres ministres secondaient dans l’intérêt des services qui leur étaient confiés, finissait toujours par obtenir de l’empereur une bonne partie de ce qu’il fallait ; mais sur ce point la résistance de l’empereur n’était pas la seule qu’il y eût à surmonter. Eux aussi, les employés du trésor, avaient pris l’habitude de contester aux fournisseurs le paiement de leurs créances. Avant M. Mollien, ils avaient une excuse dans la pénurie du trésor, qu’ils se flattaient, bien vainement, de dissimuler en abusant des formes minutieuses de la comptabilité publique. Ce motif disparut lorsque, par la bonne administration de M. Mollien, l’abondance fut revenue au trésor. M. Mollien alors eut cependant à faire l’éducation de ses subordonnés. Il y consacra des instructions écrites et des entretiens. Il s’efforça d’inculquer aux agens du trésor cette opinion : que les taxes ne doivent cesser d’être la propriété du contribuable qui les paie que pour devenir la propriété de ceux dont elles ont à solder les services ou les avances ; que le gouvernement n’agit que comme un intermédiaire dont le devoir est d’opérer cette transmission dans le plus bref délai possible ; que les formalités doivent être réglées bien plus dans l’intérêt et pour la sûreté des créanciers de l’état que pour la tranquillité des fonctionnaires auxquels il en confie le détail ; qu’on ne peut se flatter de bien garder ce qu’on nomme la fortune publique, lorsqu’on méconnaissant les droits des créanciers de l’état, on se met en guerre avec la propriété privée. Sans doute, leur disait-il encore, il ne serait pas juste d’étendre à un agent payeur qui, par un faux scrupule ou par une application trop rigoureuse des formes, diffère des paiemens et retient captifs dans ses mains les fonds que le légitime propriétaire réclame, le reproche qu’encourt l’agent des recettes qui détourne pour son usage le produit des taxes publiques qu’il a recouvrées ; mais s’il y a quelque différence entre la moralité du premier et celle du second, il n’y en a aucune dans l’effet de leurs actes. L’un et l’autre ont abusé de la propriété d’autrui[1]. À la voix de M. Mollien, les agens du trésor ne tardèrent pas à reconnaître que par la ponctualité des paiemens ils

  1. Mémoires d’un Ministre du trésor public, t. II, p. 108.