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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/885

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appelé le parti de la tyrannie, il ne faut pas oublier qu’en général les événemens que nous allons raconter ne sont connus que par les récits de Walker et de ses partisans, ou par les déclamations intéressées des journaux anglais. Les seuls témoignages impartiaux que nous ayons pu recueillir sont ceux de quelques voyageurs français ou allemands qui revenaient de Californie par le Nicaragua. Ces témoignages sont très précieux, mais des voyageurs pressés de revenir à New-York ou en Europe n’ont vu les événemens qu’à moitié, et, bien que désintéressés dans la question, n’ont pu donner chacun qu’une part de vérité. C’est par le contrôle de ces diverses relations que nous pouvons donner un récit à peu près authentique.

Chamorro fut nommé président. « Il haïssait mortellement les Américains et les doctrines républicaines, dit l’auteur de l’Avenir du Nicaragua. Il était l’ennemi irréconciliable des étrangers. » Ce seul mot suffit pour expliquer le mal qu’en disent les Yankees. Que Chamorro fût effrayé des entreprises des États-Unis sur le Texas, le Mexique, les deux Californies, de leurs prétentions depuis longtemps avouées sur le Canada, on ne doit pas s’en étonner. Qu’il fût l’ami de la liberté ou de la tyrannie, peu importe. A coup sûr c’était un bon citoyen. Au reste, il ne faut pas que le nom de libéral nous fasse illusion. Dans l’Amérique espagnole, c’est un mot d’ordre que chaque chef de parti prend lorsqu’il est dans l’opposition, et qu’il laisse à son adversaire dès qu’il arrive au pouvoir. Dans ce pays-là, on se bat pour les hommes et non pour les principes. Quelles que fussent d’ailleurs les opinions politiques de Chamorro, le premier acte du nouveau président fut de bannir son adversaire. Castillon se réfugia avec quelques amis dans l’état de Honduras. On dit, mais cela n’est pas prouvé, que, pendant les élections, ses partisans avaient été éloignés du scrutin par la force. Il est visible que Castillon, suivant l’usage immuable de ces jeunes républiques, devait prendre sa revanche. Quelques lieutenans de Chamorro, ayant obtenu de lui tout ce qu’il pouvait donner, assurèrent que sa tyrannie était devenue odieuse, insupportable, et que le Nicaragua périrait, si Castillon n’était fait président à son tour. Averti de ces dispositions favorables, l’exilé revint au Nicaragua avec trente-six hommes, fut rejoint à Chinandega par six ou sept cents soldats de Chamorro, marcha sur la ville de Léon, s’en empara après un combat, et assiégea Chamorro dans Granada, capitale du Nicaragua.

Ce récit, qui est celui des amis de Walker, me paraît le plus conforme à la vérité. Je passe sous silence les éloges donnés à Castillon, « gentilhomme riche, représentant du parti libéral, homme d’état illustre, élevé en Angleterre, et formé par de longs voyages en Europe et aux États-Unis. » Tout cela peut être vrai, mais l’homme d’état illustre aurait dû se souvenir que le plus grand de tous les crimes est d’introduire dans sa patrie les armées étrangères; il aurait dû prévoir les conséquences inévitables de cette intervention.

Le siège de Granada durait déjà depuis plusieurs mois, et Castillon n’était