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entre les mains de Walker. Sa position eût été critique, si les Nicaraguans s’étaient réunis au général Corral, qui commandait des forces suffisantes pour repousser l’invasion; mais Corral lui-même se laissa décourager ou séduire. L’envoyé des États Unis à Granada, M. Wheeler, accepta la mission que lui donna Walker de ménager un accommodement entre les deux partis. Pour hâter l’effet de cette démarche, Walker fit fusiller M. Mayorza, l’un des ministres du gouvernement déchu, et menaça de faire subir le même sort à tous les autres, si Corral ne faisait pas sa soumission. Le malheureux Corral, soit pour épargner le sang de ses amis, soit par conviction de sa faiblesse, reconnut le gouvernement nouveau et fut nommé ministre de la guerre. Walker reçut le commandement en chef de l’armée. Dès le 14 octobre, lendemain de sa victoire, on lui avait offert la présidence de la république. Il refusa, sentant qu’il convenait mieux à ses desseins de garder la réalité du pouvoir et de rejeter la responsabilité sur un Nicaraguan. M Patricio Rivas fut nommé président provisoire de la république pour quatorze mois, et, sous son nom, Walker, créé général en chef de l’armée du Nicaragua, exerça l’autorité suprême; mais l’opinion publique ne s’y est pas trompée, et le commandant en chef de l’armée fut toujours seul responsable des actes du nouveau gouvernement.

Le premier soin de Walker, ou, si l’on veut, du président Rivas, fut d’annoncer son succès à toutes les puissances étrangères et particulièrement aux États-Unis, qu’il était si important d’engager et de compromettre dans cette révolution. Le colonel H. Parker French, Américain comme Walker, et son lieutenant, fut chargé d’aller à Washington et d’obtenir du gouvernement fédéral qu’il reconnût Walker et son prête-nom Rivas. Le choix de l’envoyé était malheureux et donne une idée assez nette de la composition de l’armée de Walker. Parker French avait encouru quelques années auparavant, dit-on, une condamnation fâcheuse aux États-Unis. Peut-être M. Franklin Pierce et son ministre, M. Marcy, eussent-ils néanmoins accueilli avec faveur le représentant du Nicaragua, si la révolution leur avait paru assurée et durable, ou s’ils n’avaient craint de s’attirer une querelle sérieuse avec les Anglais. Dans les républiques espagnoles, les changemens à vue sont si fréquens et si peu motivés, qu’on est presque toujours obligé de reconnaître le gouvernement de fait sans rechercher l’origine du nouveau possesseur. Ce serait s’engager dans des questions tout à fait insolubles. Quelle est l’élection régulière qui, dans ces trente dernières années, ait été respectée depuis le cap Horn jusqu’au nord du Mexique? Cependant on ne pouvait feindre d’ignorer que des étrangers s’étaient emparés du Nicaragua par la force. Si M. Marcy avait paru l’oublier, lord Clarendon se serait chargé de le lui rappeler. Le président Pierce, combattu entre son désir d’étendre jusqu’au Rio-San-Juan la domination des États-Unis et la crainte de compromettre prématurément son pays dans une guerre avec l’Angleterre, refusa de recevoir le colonel French.