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vieux ascètes surpris de l’obstination du fils de roi, la race des guerriers se trouve marquée de deux gros péchés : l’orgueil et la rancune. Cependant les sages de la forêt assistent l’enfant dans le projet qu’il a formé d’humilier son frère, à qui semble destiné le trône paternel. Le jeune Dhrouva a trouvé le moyen d’atteindre au rang suprême. Il se livre à des austérités qui épouvantent les habitans du ciel dans leurs éternelles demeures. Vainement les divinités secondaires, qui craignent de se voir détrôner, essaient de le troubler, de l’arracher à ses méditations, de le forcer à interrompre ses rudes pénitences. Vainqueur dans sa lutte contre les habitans du ciel, après avoir résisté à toutes les tentations, Dhrouva, devenu un ascète ferme en ses pensées et que rien ne peut distraire, est favorisé de la visite de Vichnou. Dans un tendre entretien, le dieu suprême lui révèle les secrets de la précédente existence. Né une première fois sous la forme d’un brahmane, Dhrouva, séduit par l’élégance et la grâce d’un fils de roi, a demandé au créateur de renaître dans la caste des kchaltryas. Par la méditation, par la pratique des austérités accomplies loin des villes, dans le calme du désert, il a acquis de nouvelles lumières. Revenant au sentiment de sa propre dignité, il regarde bientôt comme au-dessous de lui le rang qu’il avait désiré, ce trône que tant d’autres envient ! Il redevient brahmane dans l’âme, indifférent aux choses de ce monde, dédaigneux envers la caste guerrière, qu’il surpasse désormais par la puissance de son esprit. Et pour le récompenser d’avoir renoncé aux grandeurs passagères de la royauté, Vichnou l’enlèvera dans les cieux.

Ainsi se termine par une apothéose cette légende, qui a commencé dans le palais d’un roi ; mais le poète qui l’a racontée revient encore sur les incidens de l’abdication du jeune prince. Dhrouva, qui personnifie le brahmane, a suivi les conseils de sa mère au langage si doux et si charitable ; cependant il n’a pu se résigner au rôle de l’homme modeste sur qui la prospérité descend comme l’eau coule vers les terrains bas des vallées. Bien au contraire, il est monté sur la colline, sur la montagne même, et là, levant les yeux au ciel, il s’est écrié avec un accent d’orgueil et de triomphe : J’ai encore la première place dans le royaume de mon père ! — car le roi de cette parabole, c’est le créateur lui-même, le grand père des êtres, feignant d’écarter de lui son premier-né pour le contraindre à chercher hors des choses de ce monde la gloire et la puissance incontestée qui l’attendent.

On peut conclure de cette légende que la caste royale existait de fait, et exerçait le pouvoir par droit d’hérédité avant que la caste brahmanique fût constituée à l’état de corps enseignant et dominant la société aryenne. Je verrais une preuve de cette assertion dans des stances remarquables qui se rattachent au récit précédent. Lorsque