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des oblations aux dieux et des présens aux brahmanes. La consternation se répand parmi ceux-ci. Les principaux d’entre eux, les plus recommandables par la vertu et par le savoir, vont trouver le roi. Ils l’abordent respectueusement, et lui disent avec douceur : « Gracieux prince, nous te saluons. Écoute les représentations que nous venons l’adresser. Pour la conservation de ton royaume et de ta vie, permets-nous d’adorer Vichnou ;… une partie des fruits de nos sacrifices retombera sur toi ! » À ces conseils, les brahmanes joignent des sentences d’une haute moralité. La sagesse parle par leur bouche. À peine si la menace se trahit dans ces calmes discours, et pourtant elle y est : « Le devoir, quand les hommes l’accomplissent de cœur, en pensées, en paroles et en actions, conduit les peuples exempts de chagrin à la béatitude même, qui est le partage des sages affranchis de toute passion. — Puisse-t-il ne pas périr parmi tes sujets, ô prince, ce signe de la prospérité des peuples ! Quand il est anéanti, un roi descend du rang suprême. »

Comment le roi qui néglige les devoirs de la piété et de la morale descend-il du rang suprême, les brahmanes ne le disent pas encore, mais ils le feront voir bientôt. Véna répond, « comme l’impie de la Bible : « Qui donc est au-dessus de moi ? Qui, excepté moi, mérite d’être adoré ?… Tous les dieux à qui vous pouvez adresser des prières sont présens dans la personne du roi ; l’essence du souverain est toute divine. Célébrez donc, ô brahmanes, sans jalousie les sacrifices en mon honneur, et apportez-moi le tribut, car est-il un autre dieu que moi qui ait droit à la première offrande ? » Ne semble-t-il pas que le souverain raille ici les brahmanes, qui représentent un roi comme formé des parties les plus subtiles des huit dieux gardiens du monde ? Les pieux officians députés vers lui se lèvent avec indignation en s’écriant : « Que ce misérable impie soit puni de mort ! » Véna était doublement impie aux yeux des brahmanes, des deux-fois-nés : non-seulement il voulait qu’on l’adorât, mais il prétendait recevoir de la caste sacerdotale les présens et les tributs que celle-ci prélève sur toute chose. Voilà donc un exemple d’un roi aux passions déréglées livré au châtiment, à cette force vengeresse cachée dans le sceptre, et que Manou a dit être capable de détruire un souverain avec toute sa famille. Il est curieux de voir comment les deux pourânas auxquels nous empruntons cette légende, — le Vichnou et le Bhagavat, — racontent la mort du prince voué aux dieux infernaux. Répandre le sang, tuer un être quelconque avec une arme, c’est une action violente, contraire au calme d’une âme domptée, et qu’un brahmane ne peut se permettre. L’un des deux textes dit que les grands saints frappèrent le roi « avec des épées faites d’herbe sacrée et consacrées par la prière, » et qu’ainsi ils le mirent à mort. L’autre rapporte que ces sages, dont la colère était arrivée à son