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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 4.djvu/95

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comble, étant déterminés à faire périr Véna le tuèrent « au moyen de prières magiques. »

Cet acte de haute justice une fois accompli, l’occasion était belle pour les brahmanes de reprendre l’autorité royale, et de réunir dans leurs mains les deux pouvoirs temporel et spirituel. Ce dernier leur suffisait. La tyrannie de ce Tarquin le Superbe, dont ils avaient su se délivrer avec des brins d’herbe, ne leur inspira point la haine des rois. Au contraire le besoin d’un maître unique, doué de puissance, qui gouvernât sagement et avec fermeté, ne tarda pas à se : faire sentir. À peine Véna avait-il été tué, que la terre apparut telle que la dépeint Manou en l’absence d’un roi, bouleversée : par la crainte et livrée à la violence des méchans. Les brahmanes, ajoutent les légendes, virent s’élever à l’horizon un nuage de poussière : c’étaient les brigands, les barbares, qui se ruaient sur le royaume de Véna pour le saccager. Épouvantés et ne sachant comment résister à l’invasion, les sages résolurent de faire un roi, d’en créer un, de le tirer du néant, — pour qu’il leur dût tout, jusqu’à la vie ! — Et cette opération magique eut d’abord un résultat entièrement inattendu, car il est toujours difficile de faire un roi ! Ils frottèrent la cuisse du roi impie gisant à leurs pieds, et il naquit un nain tout noir hideux, nommé Nichada, « lequel devint le père des races sauvages répandues dans les monts Vindhyas[1]. Ce petit monstre régna-t-il pendant quelques années ou fut-il immédiatement écarté ? La légende ne le dit pas. Mécontens de leur première tentative les brahmanes frottèrent le bras droit du prince défunt, Cette fois il en sortit un personnage doué de toutes les qualités, et qui fut le pieux et illustre Prithou, le monarque par excellence. Ainsi prendre un prince dans une branche collatérale de la famille régnante, cela s’appelle dans l’Inde, en termes légendaires, « frotter la jambe ou le bras » du roi défunt, car il est difficile de donner un autre sens à cette étrange expression[2]. Avec Prithou, né du bras

  1. Dans la carte de l’Inde ancienne publiée par M. Ch. Lassen à la suite de son Indische Alterthumskunde, les Nichadas sont placés aux lieux qui sont devenus la province de Mâlwa. Dans cette province en effet, il existe encore beaucoup de Bheels nommés aussi Nichadas, tribus sauvages, qui affirment avoir de tout temps possédé la partie montagneuse du pays. « C’est, une race de petite taille et de misérable apparence (diminutive, wretched — looking race), mais capable de supporter de grandes fatigues. — Hamilton’s East India Gazetteer.
  2. La même chose arriva à la mort de Nimi, roi de la race solaire, que le terrible brahmane Vacihtha avait fait périr par ses malédictions. Quand il eut cessé de vivre, les sages agitèrent son corps, et ainsi fut produit un prince que l’on nomma Djanaka (progenitor), parce qu’il était né sans père (Vichnou-Pourâna, traduct. de M. Wilson). Il s’agit probablement ici d’une élection de roi. Djanaka, beau-père de Râma, fut un chef de dynastie, un roi choisi dans une nouvelle famille. Ce Nimi est, ainsi que Véna, cité parmi les cinq rois qui se perdirent par leur manque de sagesse, selon Manou (livre vii, stance 41).