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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/114

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ont interrogé le passé, étudié les grands modèles que l’antiquité nous a laissés : aucun des trois n’a renoncé à l’expression de ses sentimens personnels. Pour se convaincre de cette vérité, il suffit de revenir aux originaux : on s’aperçoit bien vite que les imitateurs ont gardé leur indépendance. Dans les sujets héroïques, dans les sujets historiques, dans Iphigénie comme dans Britannicus, Racine a négligé d’exprimer nettement le temps et le lieu; ce qu’il omettait, il le connaissait à merveille. S’il ne s’est attaché ni au temps, ni au lieu, c’est que toute son attention se concentrait sur l’étude et l’analyse des passions. Les personnages qu’il met en scène ne sont pas des personnages historiques, il serait puéril de vouloir démontrer le contraire; mais ils expriment dans une langue mélodieuse des pensées qui appartiennent à la nature de l’homme, envisagée d’une manière générale, abstraction faite de l’idée de temps et de lieu, et ce mérite est d’un ordre assez élevé pour exciter l’admiration et la sympathie chez ceux mêmes qui connaissent le mieux les traditions héroïques et l’histoire du peuple romain. Il serait trop facile de prouver qu’Achille et Agamemnon, dans la tragédie de Racine, ne ressemblent pas aux héros qui portent le même nom dans les œuvres antiques. Achille et Agamemnon, malgré le caractère moderne que leur a donné le poète français, sont-ils vrais? S’ils éveillent en nous la tristesse, l’inquiétude, s’ils nous associent aux pensées qui les dominent, nous serons forcés de reconnaître que le poète du XVIIe siècle, infidèle à l’antiquité, peintre savant de la nature humaine, occupe un rang très élevé dans la hiérarchie des intelligences. Je n’ai pas besoin de relever tout ce qu’il y a de contradictoire dans le double reproche qui lui est adressé. D’une part on l’accuse de se traîner sur les traces de l’antiquité; d’autre part on le tourne en ridicule pour avoir baptisé de noms grecs ou romains les marquis de l’Œil-de-Bœuf. La première accusation ne repose sur aucun fondement. Quant à la seconde, on s’est aperçu depuis longtemps qu’elle n’était pas complètement juste. Britannicus n’est pas un courtisan de Versailles. Burrhus, sans être précisément le Burrhus de l’histoire, n’étonne pourtant pas ceux qui ont vécu par la pensée sous le règne de Néron. Réduire à leur juste valeur les deux reproches que je viens de rappeler, c’est affirmer et démontrer l’originalité d’Iphigénie et de Britannicus. On arriverait sans peine à prouver que Mithridate et Athalie, inexacts au point de vue de l’histoire, méritent l’attention des penseurs par l’expression savante des passions.

Pierre Corneille, qui avait dans l’esprit plus de hardiesse que Jean Racine, ne s’est jamais cru obligé d’offrir aux spectateurs une image fidèle du passé. Il ne faut pas oublier d’ailleurs qu’une telle entreprise