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lieux, a-t-on jamais débité de pareilles mièvreries ? Il n’y a pas une scène qui soit vraie dans le sens le plus vulgaire du mot, dont les élémens se retrouvent dans la nature. Toutes les pièces de Marivaux se ressemblent, ou plutôt il n’a écrit dans toute sa vie qu’une seule pièce. Qui a vu les Fausses Confidences peut se dispenser de voir le Jeu de l’Amour et du Hasard, le Legs et l’Épreuve nouvelle ; c’est toujours et partout l’emploi des mêmes moyens. Pour ceux mêmes qui ne sont pas doués d’une vive pénétration, le dénoûment est trop facile à prévoir. À peine les personnages sont-ils entrés en scène, à peine ont-ils échangé quelques paroles, qu’on devine ce qu’ils vont dire pendant une heure, dans quel piège tombera la marquise, quel artifice imaginera le valet, comment l’intendant évincera le comte. Il est impossible d’inventer quelque chose de plus monotone, de plus maniéré, qui soit tout à la fois plus éloigné de l’idéal et du réel. Et pourtant Marivaux compte encore aujourd’hui d’assez nombreux partisans. Il est vrai qu’ils ne se recrutent pas parmi les esprits qui ont le goût de l’étude, et qui forment leur jugement d’après les grands modèles ; mais enfin le nombre de ses partisans est un fait qu’on ne peut nier : il vaut mieux tâcher de l’expliquer, tout en faisant la part de la frivolité, il n’est pas permis de supposer que Marivaux réussit par l’inanité de la pensée. Il n’y a dans ses œuvres ni tendresse, ni passion, ni regrets amers, ni espérances ardentes ; par quel côté plaît-il donc aux femmes du monde et aux hommes qui croiraient manquer à toutes les convenances en n’acceptant pas leur avis ? Hélas ! il n’y a qu’une manière d’expliquer le succès de Marivaux. S’il est souverainement faux quand on le compare à Molière, il devient presque vrai quand on compare ses marquises aux héroïnes que nous avons vues depuis vingt-cinq ans. Les premières, bien que pleines d’afféterie, sont plus près de la nature que les secondes, qui veulent être sublimes depuis le lever jusqu’à la chute du rideau. Elles ne sont pas sincèrement émues, mais elles trouvent parfois quelques paroles qui semblent trahir l’émotion, et c’en est assez pour les auditeurs qui n’aiment pas les secousses trop violentes. Peut-être même parmi ceux qui écoutent d’une oreille ravie l’éternelle déclaration de l’intendant, l’éternel aveu surpris à la comtesse, plus d’un essaie-t-il de graver dans sa mémoire cette ingénieuse combinaison de mots qui ne cache aucune pensée, avec la secrète espérance d’en faire un jour l’usage victorieux. Que la vérité franche, la vérité naïve reprenne possession du théâtre, et la cause de Marivaux sera bientôt abandonnée. Ses admirateurs d’aujourd’hui s’étonneront de leur engouement.

En attendant que les Fausses Confidences soient estimées par la foule à leur juste valeur, contentons-nous d’affirmer qu’elles n’expriment