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ni la vie intellectuelle ni la vie morale du siècle dernier. Le babillage de Marivaux, malgré le tour spirituel qu’il a su parfois lui donner, n’a rien qui rappelle la société de son temps. Je dois pourtant faire une exception : si Marivaux n’a jamais réussi à traduire la passion, s’il ne paraît pas même l’avoir entrevue, en revanche il traduit à merveille l’impertinence; on dirait qu’il a concentré toute son attention sur ce point; c’est, je crois, la seule chose qu’il ait dessinée d’après nature. C’est un mérite sans doute dont nous devons lui tenir compte, mais qui ne lui assigne pas un rang très élevé. Plus d’une fois j’ai entendu soutenir, à propos de Marivaux, une opinion qui, à défaut d’évidence, se recommande par la singularité. Comme dans ses comédies le roturier homme d’esprit l’emporte assez souvent sur l’homme de haute naissance, plus riche en fatuité qu’en fines réparties, on allait jusqu’à dire que l’auteur des Fausses Confidences n’était pas demeuré étranger au mouvement de son temps, qu’il avait servi à sa manière, dans la mesure de ses forces, la cause de l’émancipation politique du tiers-état. J’avouerai franchement que cette intention libérale, qu’on lui prête si généreusement, n’a jamais frappé mes yeux. Que j’écoute ou que je lise ses comédies, j’aperçois partout l’inégalité sociale acceptée comme un fait nécessaire, comme un fait légitime et naturel. Si le roturier l’emporte sur l’homme de haute naissance, ce n’est pas qu’il possède les mêmes droits aux yeux de la comtesse, vaincue et désarmée après une résistance complaisante : la question n’est pas même posée; c’est tout bonnement parce qu’il a plus d’esprit que le vicomte ou le chevalier, et que la comtesse s’ennuie à mourir. Chercher dans Marivaux une arrière-pensée d’affranchissement pour le tiers-état, c’est lui attribuer une intention qu’il n’a jamais eue; il ne songeait qu’à divertir, et n’appelait de ses vœux aucune réforme.

D’après les principes que je viens de poser, le lecteur peut lui-même marquer le rang et le rôle de Voltaire. Prosateur excellent, poète secondaire. Voltaire mérite cependant une attention toute spéciale de la part de ceux mêmes qui négligent le développement de l’histoire et de la philosophie pour ne s’occuper que des œuvres d’imagination. On peut s’étonner qu’il vante Racine à tout propos, refuse de le commenter pour ne pas être obligé d’écrire au bas de chaque page : « Admirable ! parfait ! » et tienne si peu de compte de la pureté du style lorsqu’il écrit en vers, on peut se demander pourquoi dans ses Réflexions sur Pierre Corneille il mêle tant de chicanes puériles à des objections très légitimes; mais cette part faite à la critique, il faut se hâter de reconnaître que Voltaire, quoique placé au second rang dans l’ordre poétique, a exercé par ses œuvres dramatiques une action puissante et salutaire. Si l’on s’en tenait aux