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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/126

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Regnard, né pendant la vie même de Molière, n’a jamais fait de la profession littéraire qu’une pure distraction. Cependant il était si heureusement doué, il trouvait en se jouant de si fines réparties, que ses comédies sont encore aujourd’hui un curieux sujet d’étude pour ceux qui se mêlent de littérature. C’est le seul parmi les écrivains français qui rappelle la veine comique de Molière. Seulement il dépense tout son esprit dans le dialogue et ne paraît pas attacher grande importance à la composition des caractères. La vie du monde lui prenait trop de temps pour qu’il pût s’occuper sérieusement de cette partie de l’art dramatique. Tout lui souriait. La fortune le traitait en enfant gâté, si bien que, malgré ses prodigalités, il n’a jamais connu la détresse. Les vers ne lui coûtaient rien, et coulaient de sa plume comme l’eau d’une source vive. Comme il ne se piquait pas de correction, et n’avait pas grand souci de la richesse de la rime, l’invention et l’exécution de ses pièces n’étaient pour lui qu’une nouvelle manière de s’égayer. Les études de sa jeunesse suffisaient à le conduire dans la route qu’il avait choisie. Ses œuvres sont à peu près dépourvues de sens moral et représentent naïvement la corruption de son temps. Envisagées sous cet aspect, elles acquièrent une valeur historique. La comédie de Turcaret, qui manque de vivacité, marque pourtant la place de Lesage parmi les plus habiles écrivains du siècle dernier. Lors même que Gil Blas n’existerait pas, la lecture de Turcaret suffirait seule pour démontrer que l’auteur connaît à fond ses contemporains, et qu’il a étudié le vice avec la sagacité d’un philosophe. Malheureusement, s’il réussit à exciter le rire, il néglige trop souvent de flétrir les caractères qu’il désigne aux railleries du parterre. Plus profond que Regnard, de l’avis unanime de tous les esprits sincères qui cherchent dans la parole l’image fidèle de la pensée, il laisse au spectateur le soin de formuler lui-même après la chute du rideau la leçon contenue dans les scènes qu’il vient de lui offrir. Pour échapper aux dangers de la comédie didactique, il s’efface à peu près complètement et semble dire à son auditoire : « Voilà ce que j’ai vu, ce que j’ai entendu; gardez-en souvenir et tâchez d’en profiter. Je me fie à votre bon sens, et croirais vous faire injure en vous disant aujourd’hui ce que vous devez en penser. » C’est, comme on voit, l’exagération d’une maxime très juste en elle-même : le poète dramatique ne doit pas exprimer la leçon. Cependant il ne lui est pas interdit de laisser deviner sa préférence pour tel ou tel personnage.

Le Père de Famille de Diderot, qui a joui au siècle dernier d’un assez haut crédit, est aujourd’hui à peu près oublié. Il faut en tenir compte, si l’on veut comprendre pleinement quelques-unes des œuvres dramatiques de notre temps. La déclamation et l’emphase