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de la science, il se laissait aller au charme souverain de la méditation, et la méditation lui offrait un ordre meilleur. Quoi qu’on ait pu dire de son caractère prosaïque, de sa passion pour le bien-être matériel, il ne vivait pas tout entier dans le domaine de la réalité. Il sentait le besoin d’agrandir ce qu’il avait sous les yeux, et ce besoin généreux suffisait pour doubler ses forces. Théoriquement, les doctrines philosophiques du siècle dernier conduisent à l’apothéose de l’intérêt personnel. Cependant, par une admirable inconséquence, la plupart des écrivains qui s’occupaient des affaires publiques, de l’état présent de la société, des réformes qu’elle réclamait, plaçaient l’intérêt général au-dessus de l’intérêt personnel. Étrangers au gouvernement, aux négociations, ils prenaient pour guides dans toutes leurs discussions les principes que nous trouvons dans l’Esprit des Lois, et qui plus tard ont retenti à la tribune de la constituante. Cette condition des esprits était excellente pour la poésie dramatique. Toutes les fois que l’auditoire se nourrit de pensées supérieures au monde des faits, toutes les fois qu’il ne considère pas la réalité comme une limite infranchissable et s’élève au-dessus des événemens accomplis, le poète peut ouvrir à son imagination une libre carrière. Au siècle dernier, la poésie dramatique ne s’est pas renfermée dans son domaine naturel. Au lieu de s’en tenir à l’émotion, elle s’est associée activement aux travaux entrepris par les philosophes, par les publicistes. Malgré les défauts très évidens qui déparent ses œuvres, elle a droit au respect, car elle voulait sincèrement le bien, et n’arrêtait pas son regard à l’état présent de la société. Le poète et l’auditoire, animés des mêmes sentimens, soutenus par les mêmes espérances, se comprenaient mutuellement avec une merveilleuse facilité, et c’est à cette mutuelle intelligence du poète et de l’auditoire que nous devons rapporter la puissance, la popularité de l’art dramatique. Incomplètes au point de vue de la beauté, les conceptions qui se produisaient sur le théâtre excitaient cependant une vive sympathie, agissaient sur la foule avec une énergie singulière, parce qu’elles enveloppaient une idée comprise de tous, parce qu’elles présentaient sous une forme vivante des sentimens qui échauffaient tous les cœurs. Ainsi, au siècle dernier comme au siècle précédent, nous voyons l’esprit français dominant la vie réelle, appelant de ses vœux un ordre meilleur, aspirant à l’idéal, et la poésie dramatique mettait à profit cet état de la pensée. Auditoire et poète vivent de la même vie. L’art dramatique n’est pas un divertissement stérile, mais une leçon offerte à la foule. Il n’y a pas d’émotion sans enseignemens.


Après avoir étudié l’état du théâtre depuis le Cid jusqu’au