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SIR ROBERT PEEL.

la distinction entre les sucres provenant du travail libre et les sucres produits du travail esclave, le nombre des heures de travail dans les manufactures, etc. On était dans l’une de ces époques de crise et de transformation sociale où l’ancien régime, partout et incessamment aux prises avec l’esprit nouveau, se défend obstinément, quoique avec peu d’espoir, essayant chaque jour de prévenir le péril du lendemain ou de réparer l’échec de la veille, et tenant sans relâche, sur les diverses brèches qui s’ouvrent, ses intrépides et inutiles défenseurs. Lord George Bentinck et M. Disraeli continuèrent dans la chambre des communes à jouer ce rôle, dirigeant l’un et l’autre leurs coups bien plus contre sir Robert Peel que contre les ministres whigs : M. Disraeli avec quelque mélange de complimens dans ses attaques depuis qu’elles ne s’adressaient plus à un homme en pouvoir ; lord George avec un loyal et hardi dévouement aux intérêts comme aux principes du parti protecteur, toujours prêt à la lutte, prompt au danger, aussi laborieux que véhément, mais avec peu de discernement, sans mesure, prenant de toutes mains, tantôt des armes contre ses ennemis, tantôt des plans pour essayer de gagner quelque popularité, et inspirant peu de confiance dans ses assertions ou dans ses vues, même aux hommes qui honoraient le plus sa sincérité et son courage. Il proposa, pour venir au secours de l’Irlande, un gigantesque projet de chemins de fer pour lequel l’Angleterre devait avancer 16 millions de livres sterling (400 millions de francs). Dans la discussion du bill pour l’introduction de la loi des pauvres en Irlande, il se livra aux plus violens emportemens, accusant les ministres et leurs principes de commerce libre d’avoir amené la famine, et soutenant avec un grand appareil de détails statistiques que, s’ils avaient fait construire en Irlande quatre cents maisons de travail, assez rapprochées pour qu’aucun pauvre ne se trouvât à plus de trois milles et demi (environ 5 kilomètres) d’un tel établissement, ils auraient sauvé des milliers de vies et épargné, dans l’année, à l’état une somme de 4 319 733 livres sterling (106 972 243 francs). Soit qu’il vînt en aide au cabinet, soit qu’il se défendît pour son propre compte, sir Robert Peel pouvait repousser ces attaques avec modération et bonne grâce, car il n’avait dans la lutte aucun intérêt actuel ni vulgaire, et ne la soutenait plus que par honneur ou dans des vues de bien public et au profit de ses rivaux. Il tint avec persévérance, pendant quatre ans, cette conduite plus noble que difficile, appelé presque aussi souvent que s’il eût été ministre à justifier sa politique, et s’acquittant de cette tâche sans vanité malicieuse, sans hostilité détournée, sans se préoccuper de ses anciens dissentimens et sans regarder qui recueillait le fruit de ses nouveaux succès.