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Dans une seule circonstance, il ne résista pas au plaisir de rappeler expressément à ses anciens adversaires qu’ils ne s’étaient pas conduits envers lui comme il se conduisait envers eux. Pressés à leur tour par les désordres et les attentats qui désolaient l’Irlande, les whigs proposèrent le 29 novembre 1847, par l’organe de leur ministre de l’intérieur, sir George Grey, un bill de répression et de police à peu près semblable à celui qu’ils avaient repoussé dix-sept mois auparavant pour renverser le cabinet de Peel. Sir Robert approuva et appuya franchement la mesure. « Je m’empresse, dit-il, de déclarer que je donnerai à la proposition du gouvernement de sa majesté mon plus cordial concours… Je n’en querellerai aucun détail… L’honorable membre qui la présente et ses collègues sentiront, j’en suis sûr, que je ne saurais résister à leur appel, car c’est précisément le même appel que naguère je leur ai moi-même adressé, mais en vain… » Et se tournant vers les conservateurs mécontens, qui en juin 1846 s’étaient unis contre lui aux whigs : « J’espère, dit-il, que leur ressentiment contre le dernier cabinet ne portera pas les hommes qui se sont opposés au bill de 1846 à refuser à la mesure actuelle le concours dont elle a besoin. »

Le bill fut adopté par 224 suffrages contre 18, et les adversaires de sir Robert Peel se chargèrent ainsi de justifier eux-mêmes la mesure pour laquelle ils l’avaient renversé. Tous les grands actes de son administration subirent victorieusement l’épreuve des circonstances nouvelles qu’amena le temps et des nouvelles luttes dont ils furent l’objet, et le plus grand de tous, l’établissement définitif du libre commerce des grains, donna lieu, le 31 janvier 1849, à une éclatante manifestation populaire. C’était ce jour-là qu’arrivait le terme des trois années assignées par le bill de 1846 pour l’abolition de tout droit d’importation. M. Cobden, M. Bright, M. George Wilson, tous les anciens chefs de la ligue contre la loi des céréales, et plus de deux mille personnes se réunirent à Manchester pour célébrer dans un banquet solennel le moment précis de leur complet triomphe. Après de nombreux discours, cinq minutes avant minuit, la musique joua l’air d’un chant devenu populaire dans cette question sous ce titre : le Bon Temps vient. L’assemblée l’entonna en chœur. L’horloge sonna minuit. Le président, imposant tout à coup silence, annonça que « le bon temps était venu. » L’assemblée entière se leva et salua par les plus bruyantes acclamations cette première minute de la pleine liberté du commerce des grains. Le lendemain 1er février 1849, quand le parlement ouvrit sa session, les récits du banquet de Manchester remplissaient les colonnes des journaux et les conversations du public.

Aux anciennes questions qui avaient occupé le gouvernement de