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grand boyard, et conduisant de petites voitures d’osier traînées par un cheval.

Le règlement organique des principautés avait cherché par de sages mesures à mettre un frein à cet avilissement de la boyarie. Déjà l’empereur Alexandre avait fait cesser l’assimilation des rangs moldo-valaques à ceux de la Russie, assimilation que ses prédécesseurs avaient admise ; mais toutes ces mesures furent sans aucun résultat, et notamment sous les deux derniers hospodars, la Valachie a vu des hommes sortis des rangs de la domesticité, ou enrichis par les moyens les plus coupables, s’avancer dans la hiérarchie des boyards jusqu’à faire partie du conseil des ministres[1]. Le seul remède à cet état de choses nous paraît être la création dans les principautés d’une représentation nationale basée uniquement sur la propriété.

Les environs d’Yassy sont pittoresques ; on y voit de charmantes maisons de campagne et des couvens dont chacun a sa légende. La ville est enlaidie par le quartier juif, où plus de trente mille Israélites se pressent dans des bouges hideux, entourés tantôt d’une boue infecte, tantôt d’une poussière épaisse. Quand on arrive de Galatz sur les hauteurs de Socola, Yassy offre un coup d’œil saisissant, mais dont l’harmonie est détruite par cet amas de misérables huttes à travers lesquelles il faut passer pour atteindre la ville. Du reste, la Moldavie est littéralement envahie par les juifs, qui y affluent de la Pologne russe et de la Galicie. C’est l’administration antérieure à celle du prince Grégoire Ghika qui a ouvert aux juifs l’entrée des frontières de Moldavie, et ils s’y sont précipités pour échapper au service militaire, aux durs impôts, et jouir d’un gouvernement plus doux. L’hospodar y trouvait son profit, attendu que les juifs étaient obligés de payer une taxe exceptionnelle et arbitraire. De plus, de temps en temps on répandait le bruit de leur prochaine expulsion. Alors ils se réunissaient, et portaient au pied du trône moldave leurs supplications, qui, appuyées d’argumens irrésistibles, étaient accueillies avec une paternelle condescendance. Ces avanies étaient plus que compensées par les avantages immenses que leur offrait le séjour en Moldavie. Peu à peu ils se rendirent maîtres de toutes les affaires, pénétrèrent dans toutes les maisons,

  1. Un usurier fameux, qui de domestique est devenu boyard, et qui n’avait pas perdu toute influence dans le dernier gouvernement de la Valachie, fut, rare exemple, flétri par un office ou arrêté public du prince Bibesco. Il me disait avec un cynisme naïf qu’il allait se faire créer baron autrichien, quand la chute du prince Bibesco est venue faire disparaître les effets de l’office qui le concernait. C’est une cause bien légitime d’étonnement que la facilité avec laquelle l’Autriche accorde dans les principautés des titres de noblesse et des décorations à des individus d’une moralité plus que douteuse.