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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 5.djvu/20

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REVUE DES DEUX MONDES.

pour premier devoir de protéger. Loin de nous également la pensée de laisser pénétrer dans nos mesures les distinctions religieuses qui entraient dans le plan du roi Jacques Ier ! Cette indispensable mutation de la propriété ne pourrait s’opérer ni par la contrainte, ni par des transactions entre particuliers ; il y faudrait l’entremise de commissaires du gouvernement qui prendraient possession des terres en les dégageant de leurs charges, et les répartiraient ensuite, sans distinction de religion ni de race, entre des acquéreurs capables de les exploiter avec fruit… Le droit de propriété a pour les propriétaires actuels si peu de valeur, que je ne puis m’empêcher de croire que le gouvernement, avec la sanction de cette chambre et en prenant l’affaire dans toute sa grandeur, pourrait trouver des moyens d’appeler sur le sol de l’Irlande de nouveaux capitaux, d’écarter la misère et l’impuissance qui pèsent sur les propriétaires actuels, et d’ouvrir à ce pays désolé les perspectives d’un meilleur avenir. »

À la première apparition de cette idée, des sentimens très divers s’élevèrent dans les chambres et dans le public. Plusieurs savans jurisconsultes, entre autres le chancelier whig lord Cottenham, firent non-seulement beaucoup d’objections, mais une assez forte résistance ; indépendamment des difficultés légales du plan proposé, il ne pouvait réussir qu’autant que l’exécution en serait confiée à des commissaires spéciaux qui enlèveraient, sur ce point, à la cour de chancellerie quelques-unes de ses attributions administratives, et sir Robert Peel le demandait formellement. Lord John Russell, en s’exprimant sur l’idée de sir Robert avec beaucoup d’estime et d’égards, témoigna des doutes et peu d’empressement à en poursuivre l’application. De vieux Irlandais se récrièrent avec emportement ; il y avait là, disaient-ils, une nouvelle confiscation du sol de l’Irlande ; on décriait la valeur de la propriété actuelle ; on taxait les propriétaires d’apathie ou de mauvais vouloir, d’inintelligence ou d’impuissance ; on voulait les reléguer au fond du Connaught ou en enfer ; c’était la noblesse catholique, grande et petite, expulsée d’Irlande. Peel repoussa, avec l’énergie de la sincérité et de la conviction, ces terreurs d’un patriotisme aveugle, et s’appliqua à dissiper les doutes, à surmonter les hésitations du pouvoir. En Angleterre et en Irlande, presque tous les hommes versés en économie politique soutenaient chaudement sa proposition ; le public l’accueillait avec la faveur et les espérances qui s’attachent à une grande idée présentée par un homme supérieur, évidemment dégagé de tout autre intérêt, de tout autre but que le bien public. Sir Robert Peel entra dans l’examen des détails, discuta avec une fermeté modeste, mais persévérante, les objections des jurisconsultes, rattacha ses propositions à un bill que le parlement avait déjà voté en 1848 pour faciliter la vente des terres